Panic sur Florida Beach
un film de Joe Dante (1993)

Panic sur Florida Beach

C’est au début des années 1990, après l’immense succès de Gremlins 2 : La nouvelle génération (1990), que Joe Dante put s’atteler à la réalisation d’un de ses films les plus réussis et personnels.  Panic sur Florida Beach est autant une déclaration d’amour aux séries B, dont ces creature features de la fin des années 1950 auxquels Dante a nourri sa passion pour le septième art, que l’évocation minutieuse et pleine de nostalgie d’une époque très particulière : celle de la jeunesse du réalisateur et des heures les plus tendues de la guerre froide. Provenant de sa collection personnelle, les affiches de cinéma et exemplaires de Famous Monsters1 ou Mad qui émaillent le film lui confèrent un indéniable caractère autobiographique. Mais tout en restant tendre envers l’ensemble des personnages, Dante évite le sentimentalisme pour signer un chef d’œuvre de la comédie qui porte un regard acerbe à la fois sur l’Amérique et l’industrie du cinéma.

Panic sur Florida Beach (Joe Dante, 1993)En 1962, alors même qu’éclate la crise des missiles de Cuba, Lawrence Woolsey sillonne le poussiéreux bitume nord-américain à la recherche d’idées scénaristiques et de futures stars. Une blonde pulpeuse au bras et un immense cigare lui pendant au bec, ce producteur et réalisateur de séries B sans prétentions dévore les kilomètres en direction de Key West où doit se tenir une projection de son nouveau film, « Mant! ». Programmé en matinee, le double-programme du samedi réservé au jeune public, le film suscite déjà l’enthousiasme des enfants de la ville et l’exaspération de la plupart de leurs parents. Woolsey ne se contente en effet pas des simples attraits de son homme-fourmi, promettant en plus de mettre les spectateurs au cœur du dispositif filmique avec un nouveau procédé que tous les grands studios hollywoodiens rêveraient de lui arracher : l’Atomorama !

Panic sur Florida Beach (Joe Dante, 1993)Devant les affiches promotionnelles, qui résument à merveille par leur seule phrase d’accroche « Half man, half ant… all terror! » le propos de « Mant! », Gene Loomis et ses copains succombent déjà aux charmes du film. Fils de marine, le jeune garçon vit le conflit au quotidien. Éprouvant des difficultés à s’intégrer à la communauté que se famille vient de rejoindre, il apprend le départ au large de son père envoyé en opération spéciale. Dans ce contexte, les films de monstres et de science-fiction sont devenus pour lui un rare échappatoire. L’arrivée en ville de Lawrence Woolsey, venu dévoiler en personne sa nouvelle création, est donc un événement immanquable. Mais pour le producteur toujours à la recherche de publicité, la peur qui gagne irrémédiablement la nation est une aubaine dont il compte bien profiter pour enrichir l’impact émotionnel et économique d’un film jouant sur des phobies similaires.

Panic sur Florida Beach (Joe Dante, 1993)Panic sur Florida Beach aurait pu tomber dans la parodie ou la farce mais l’approche pleine de respect de Joe Dante en fait avant tout un grand film sur la magie du cinéma. L’on n’y trouve pas le moindre désir de tourner en ridicule les séries B dont s’inspire « Mant! », bien au contraire. Inspiré par le légendaire William Castle2, un producteur qui modela sa propre image sur celle d’Alfred Hitchcock, le personnage de Lawrence Woolsey ne signera certes jamais de chef d’œuvre intemporel mais son désir d’effrayer et divertir les spectateurs est on ne peut plus sincère. Personnage haut en couleurs et au charisme hors du commun, campé avec brio par un John Goodman au sommet, Woolsey est idéalisé au travers du regard de Gene, alter-ego évident du jeune Dante. C’est d’ailleurs le regard des enfants, surtout ceux d’une génération qui a grandi dans l’attente perpétuelle qu’éclate enfin ce fichu conflit nucléaire, que le film cherchera de tout son long à épouser.

Panic sur Florida Beach (Joe Dante, 1993)Ponctué par les bulletins d’information et les interventions télévisées du Président Kennedy, le film saisit à la perfection l’ambiance étouffante et si particulière de ces quelques journées d’octobre 1962. Tiraillé entre la certitude d’un cataclysme imminent et le fol espoir que tout finira pour le mieux, chacun tente de poursuivre une vie quotidienne dans une sérénité d’apparat. A ce jeu, ce sont les enfants qui s’en sortent mieux que des adultes souvent en proie à l’hystérie. Bien que la peur fasse irruption dans leur monde à plusieurs reprises, notamment lors de la scène de l’évacuation de l’école, elle ne reste qu’une question parmi tant d’autres à laquelle aucun d’entre eux, contrairement aux adultes comme Woolsey le confiera à Gene, ne prétend avoir de réponses. Ainsi, alors que le monde entier retient son souffle en attendant le dénouement de la crise diplomatique, la vie de Gene et de ses copains ne cesse de tourner autour du prochain film d’horreur à voir, de quelle fille inviter pour un futur rencard.

Panic sur Florida Beach (Joe Dante, 1993)Exploration de souvenirs d’enfance, Panic à Florida Beach ne se limite pas à la simple évocation d’une époque mais offre au réalisateur de Piranhas (1978), Hurlements (1981) et Gremlins (1984) l’occasion de rendre hommage à une manière révolue de concevoir le cinéma. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui un réalisateur tel que Woolsey ou Castle, ressemblant davantage à un vendeur itinérant qu’à une star du show-business et se déplaçant jusqu’aux salles qui projettent ses films pour y installer machines à fumée et fauteuils piégés. Avec la disparition de ce genre de personnages, une part de la magie et du mystère qui planaient alors sur le cinéma s’est elle aussi dissipée. Mais tant que des enfants se passionneront à l’image de Gene pour les histoires les plus  extraordinaires, il y aura une place en ce monde pour des hommes comme Woolsey dont les paroles résonnent alors telle la profession de foi de Joe Dante lui-même. Ainsi, le cinéaste retrace son propre parcours dominé par une obsession pour le cinéma, convoquant  à la fois le jeune spectateur qu’il fut et le réalisateur qu’il aimerait être, et signe un chef d’œuvre méconnu mais enchanteur. Parmi les nombreux films de Joe Dante, Panic sur Florida Beach est celui qui mérite le plus d’être redécouvert et de trouver enfin un public qui saura l’apprécier à sa juste valeur.

1 Famous Monsters of Filmland : revue américaine spécialisée dans le cinéma de genre fondée en 1958 par l’éditeur James Warren, à qui l’on doit entre autres les revues de bandes-dessinées d’horreur Creepy et Eerie, et le mythique rédacteur en chef Forrest J. Ackerman.

2 William Castle (1914-1977) : réalisateur américain réputé pour ses dispositifs originaux de projection, Castle a réalisé plus de soixante films dont La Nuit de tous les mystères (1959) et Le Désosseur de cadavres (1959) et produit Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968).

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