Cinéma | Nouvelles du front
La Vénus à la fourrure
un film de Roman Polanski (2013)
Sans rien dévoiler de ce vingtième film de Roman Polanski, il n’est pas anodin de voir défiler son générique de fin sur un montage de tableaux plutôt que le traditionnel fond noir. Sur ceux, en l’occurrence, de grands maîtres de la Renaissance mettant en scène la déesse Vénus dans les postures les plus emblématiques de sa mythologie. En adaptant la pièce de David Ives, qui à son tour s’inspirait du roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch, Polanski ne s’intéresse pas tant au masochisme indissociable de l’auteur qu’à l’intrigante relation entre créateur et modèle ; œuvre et sujet. C’est Vénus elle-même, figure maintes fois déclinée au travers des civilisations humaines, qui va lui permettre de matérialiser l’enjeu. Au vu de la nature du matériau, un huis-clos qui repose entièrement sur la mise en abyme et ces unités de lieu, d’action et de temps si chers au théâtre, le projet était périlleux. Mais la manière dont le cinéaste s’emploie par sa mise en scène à faire éclater l’ensemble de ces conventions pour laisser glisser son récit vers un fantastique incertain, ainsi que les performances de deux acteurs au sommet de leur art, nous offrent une expérience cinématographique divertissante, intense et d’une intelligence divine.
Après une longue et éprouvante journée d’auditions, Thomas se lamente auprès de sa fiancée de n’avoir su trouver celle capable d’incarner l’héroïne de son adaptation de La Vénus à la fourrure. Alors qu’il poursuit sa conversation téléphonique, s’apprêtant à quitter le théâtre au charme décrépit où il doit monter la pièce, débarque à son insu Vanda Jourdain : jeune actrice vulgaire, inexpérimentée et visiblement loin de correspondre à ce que recherche le metteur en scène pour le rôle. A force de harcèlement, elle le persuadera malgré son retard de lui laisser interpréter ce texte dont elle semble tout ignorer. Va dès lors s’instaurer un perfide jeu de séduction entre elle et lui, Vanda se métamorphosant sous les regards captifs du dramaturge comme du spectateur pour dévoiler sa troublante compréhension de l’œuvre mais aussi de ses auteurs.
Dès le premier plan, un long travelling qui nous déposera aux portes du théâtre pour les voir s’ouvrir comme par un mystérieux coup de vent ou du sort, Polanski place son récit sous le signe d’une palpable et frémissante incertitude. Jamais le spectateur, à l’image de Thomas, ne saura précisément sur quel pied danser avec Vanda. Qui est-elle ? Simple actrice délurée, détective privée engagée par la fiancée du metteur en scène comme elle le prétend ou fantastique et érotisante apparition ? A mesure qu’elle s’empare du rôle tant convoité, que l’orage gronde au dehors et que les destins croisés de ces deux individus s’entrelacent dans l’intimité nocturne, elle va prendre le contrôle à la fois sur l’espace et l’œuvre. Omniprésente de la régie aux coulisses, des gradins à la scène, Vanda va ainsi remettre en cause l’idée que se faisait Thomas de sa propre écriture. Mais elle va aussi, en se muant à chaque geste toujours davantage en divine Vénus, interroger l’appartenance de l’œuvre : pour ainsi dire l’autorité du créateur sur sa création.
Rarement a-t-on vu l’huis-clos exploité avec autant de talent et de pertinence au cinéma. Sans rien gommer de la nature théâtrale de la structure, ni de celle littéraire du texte, Polanski – grand cinéaste des lieux fermés s’il en est – parvient à doter chacune des images de son récit d’une qualité cinématographique intrinsèque. Le moindre recoin du décor, lorsque s’y déplace l’action, est scruté sous l’ensemble de ses facettes, grâce au montage et à la prise de vue, et devient pour quelques instants une scène à part entière : l’unique lieu ou cette étrange dialectique engagée entre l’artiste et son idée sera en mesure de poursuivre sa gestation. Délicieusement interprété par Matthieu Amalric et Emmanuelle Seigner, envoûtante et à qui Polanski offre sans doute ici son plus beau rôle, le texte où s’entrechoquent les trois langues de Sacher-Masoch, de l’intellectuel et du béotien, est un régal d’humour et d’intelligence. D’une beauté plus que jamais insondable, La Vénus à la fourrure se dresse ainsi devant nous, la caméra de Polanski dévoilant avec malice sa muse et nous incitant à découvrir quels fascinants secrets se cachent à l’ombre de sa parure d’hermine.
Qu’est-ce que j’ai pris mon pied devant ce film… Je l’ai trouvé vraiment meilleur que « Carnage », pour la comparaison huis-clos, adaptation de pièce, toussa.
Je n’ai pas vu Carnage, j’aime bien John C. Reilly et je le trouve sous-exploité pour son talent dramatique alors je devrais peut-être. Mais les derniers films de Polanski ne m’attiraient vraiment pas. Donc oui, excellente surprise en ce qui me concerne aussi, des acteurs à la mise en scène. J’aime beaucoup Amalric mais je n’attendais pas Seigner à ce niveau.
Carnage ne fait pas toutes les bonnes choses que « La vénus » fait.
D’accord John C. Reilly. Sa carrière peut malheureusement ironiquement se résumer une chanson de « Chicago » qu’il interprétait, « Mr Cellophane »…
J’ai quand même bien aimé « The Ghost Writer », sans que ce ne soit un grand film mais la fin est assez…. je ne te dirais pas quoi si jamais tu veux le voir, mais assez donc.
Par contre pas vue « The Pianist » ni « Oliver Twist » (et « La neuvième porte reste un de mes films préférés).
Bonsoir, comme Cachou, j’ai trouvé La Vénus à la fourrure cent coudées au dessus de Carnage qui n’est pas une très bonne pièce. Emmanuelle Seigner est vraiment excellente dans son rôle de Vanda. Elle m’a étonnée. Bonne soirée.
Les trois ou quatre films précédents de Polanski ne me faisaient vraiment pas envie. Je ne saurais pas trop expliquer pourquoi. Mais dès que j’ai entendu qu’il travaillait sur ce texte j’ai été très curieux de voir le résultat.