Cinéma | Nouvelles du front

L’Inconnu du lac
un film d’Alain Guiraudie (2013)

L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)Avec son « film hétéro », The Doom Generation, Gregg Araki pointait judicieusement du doigt l’accablante hypocrisie qu’est parler de cinéma gay ou lesbien. Ce qui importe, au-delà des penchants de ses auteurs, ses protagonistes ou du public qu’elle vise, est que l’œuvre soit de qualité (Cruising, William Friedkin) ou non (Les Rencontres d’après minuit, Yann Gonzalez). Cette distinction devrait à elle-seule amplement nous suffire. Quoi qu’il en soit, tout au long de l’année 2013 l’homosexualité s’est retrouvée au centre des regards et la question d’origine sociétale s’est donc vue transposer au cinéma en trois temps forts ; trois films par ailleurs présentés au dernier Festival de Cannes, deux en compétition officielle et le troisième dans la sélection « Un certain regard ». Et oui, l’on se cantonnera ici à un cinéma plus ou moins mainstream. Mille excuses mais, n’ayant toujours pas osé en visionner ne serait-ce qu’un seul, les DTV trashos de Bruce LaBruce devront patienter jusqu’à une prochaine occasion.

L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)Il y eut d’abord l’insipide Vie d’Adèle, récompensée d’une Palme d’or pour l’on sait trop quelles raisons si ce n’est l’éternel désir de plaire du président du jury1. Puis arriva la performance du revenant Michael Douglas dans Ma vie avec Liberace, téléfilm tendre mais oubliable de Steven Soderbegh qui aura suscité des réactions des plus malsaines de la part de certains spectateurs moins enclins à accepter la différence que ce qu’ils ne semblaient croire. Enfin survînt le scandale versaillo-clodoaldien visant l’affiche de L’Inconnu du Lac. En dénonçant l’illustration réalisée par Tom de Pékin, ces increvables gardiens de la bien-pensance et leurs moralisatrices velléités de censure apportèrent, une fois n’est pas coutume, un précieux et involontaire secours médiatique à un film qui aurait mérité qu’on parle de lui davantage pour ses qualités inhérentes que pour une banale histoire de mœurs.

L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)D’un naturalisme teinté d’angoisses oniriques, L’Inconnu du lac nous raconte quelques journées passées par Franck sur une plage isolée devenue le terrain de drague de la communauté homosexuelle de la région. Au bord de l’étendue miroitante, il rencontrera deux hommes qui le séduiront chacun à leur manière : Henri, pataud et divorcé, avec qui il se liera d’amitié et Michel, adonis moustachu, pour lequel il éprouvera dès le premier coup d’œil une fatale attraction. Lorsque le corps d’un jeune homme est repêché du lac, Franck se retrouvera mêlé à une affaire de meurtre. Témoin du crime, il ne pourra se résoudre à livrer l’assassin à la police. La silhouette d’un prédateur sexuel se profilant dès lors sous des eaux toujours plus troubles, les regards de ceux qui lézardent sur la plage de galets et qui s’accouplent dans la forêt environnante deviennent méfiants, la chaleur paradisiaque se muant subitement en une ambiance étouffante entre oppression et paranoïa. Tiraillé entre plaisirs de la chair et de l’esprit, Franck devra alors prendre les bonnes décisions pour ressortir vivant de l’Éden corrompu.

L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)Alain Guiraudie a parfaitement compris que le désir ne fait aucune distinction, ni entre hommes et femmes, ni entre bien et mal. Tantôt impulsif, tantôt calculateur, il n’obéit qu’à sa propre logique pour arriver à ses fins sans jamais éprouver le besoin cartésien de catégoriser les choses. Ainsi, L’Inconnu du lac ne se contente pas d’évoquer la figure stéréotypée d’homosexuels mais nous montre au contraire des personnages complexes, exposant envies de transgression et sentiments de culpabilité pour nous permettre de nous identifier à eux que l’on appartienne ou non à leur monde. En cela, le film touche à l’universalité et revêt une dimension mythologique qu’affirment avec grâce une mise en scène et une écriture redevables autant à Éric Rohmer qu’à Jean Renoir ; autant au réalisme le plus cru qu’à une veine ancrée davantage dans le romantisme. Sans oublier de ménager instants d’humour et de suspense, Guiraudie livre donc une méditation captivante et nuancée sur l’irrésistible pouvoir d’attraction qu’exercent sur l’Homme le sexe et la violence, l’amour et la mort.

1Adèle Exarchopoulos est impressionnante de justesse (et sauve au passage le film), mais trois longues heures de plans rapprochés, une dizaine de minutes de soft-porn et autant de poncifs sur la fin de l’adolescence et la découverte de la sexualité méritaient-elles franchement une telle couverture médiatique ? La réponse est non.

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