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26 secondes : L’Amérique éclaboussée
L’assassinat de JFK et le cinéma américain

un livre de Jean-Baptiste Thoret (2003)

26 Secondes: L'Amérique éclabousséeEt si, dans l’histoire des images, l’un des films les plus importants n’était qu’un simple home movie de 26 secondes tourné le 22 novembre 1963 ? Si ce plan séquence composé de 477 photogrammes connus de tous, mais dans lesquels jamais on ne verra clair, était la clef de voûte du cinéma américain moderne ? Voici l’idée que développe 26 secondes : L’Amérique éclaboussée que consacre Jean-Baptiste Thoret à l’assassinat de John F. Kennedy et au célèbre film d’Abraham Zapruder ; un livre qui nous offre l’occasion d’un voyage dans le cinéma américain du milieu des années 1960 jusqu’en septembre 2011. Malgré ses longues pages inévitables mais passionnantes consacrées à la couverture médiatique de l’assassinat, aux indéniables falsifications des preuves et aux innombrables théories du complot qui en sont nées, le livre ne se donne pas pour objet de démêler le vrai du faux. Ce qui intéresse l’auteur, contrairement aux autres exégètes de Zapruder, est de comprendre comment ce film amateur influa sur le cinéma hollywoodien des cinquante prochaines autant par ce qu’il montre – la tête de Kennedy qui explose ou l’éclatement du gore sur nos écrans – que ce qui restera à jamais invisible : qui a tiré ?

Photogramme 313 du film d'Abraham ZapruderAnalysant en profondeur de nombreux films, de ceux de Pakula (Klute, A cause d’un assassinat, Les Hommes du président) ou De Palma (Greetings, Phantom of the Paradise, Blow Out, Snake Eyes) mettant en scène de manière évidente l’assassinat de JFK, à d’autres plus implicites comme Conversation secrète de Coppola, La Horde sauvage de Peckinpah ou encore Zombie de Romero, Thoret dégage progressivement les éléments de ce qu’il nomme, à juste titre, la « configuration Zapruder ». Si le tireur isolé et la ligne de mire, l’assassinat politique et la parade comme décor de la fusillade, l’éclatement du crâne et le meurtre subséquent du tueur sont autant de manifestations visuelles et narratives d’un héritage ancré dans la conscience collective américaine, c’est surtout dans la manière dont ces récits questionnent tous l’image, et donc la représentation des faits, que ces multiples signes finissent par faire sens. Dans ces films souvent obsessionnels, les personnages, à l’image de ceux qui depuis près de cinquante ans analysent les images du meurtre, n’ont cesse de remettre en cause à la fois la vérité telle qu’elle leur est présentée et les supports qui servent la propagande. Mais le délire interprétatif a-t-il pour conséquence de se rapprocher de la vérité ou de se perdre dans ses méandres ?

Blow Out (Brian De Palma, 1981)Là où le film de Zapruder et les autres représentations visuelles de l’assassinat de Kennedy constituent, d’après Thoret, un point de bascule dans l’histoire des images, et donc du cinéma, est justement dans les carences que ces cinéastes dénoncent. De l’absence d’une piste sonore aux jump cuts, ces images nous apprennent, en s’opposant à la rhétorique classique du cinéma hollywoodien dont les illusions se constituaient autour du plus juste raccord, que l’image n’est pas synonyme, mais au contraire perception et interprétation de la vérité. Alors que les foyers américains seront envahis au cours de la décennie à venir par la violence cathodique du Vietnam, de Watts, des assassinats de Martin Luther King, de Malcolm X et de Bobby Kennedy, dès 1963 la confiance vouée par le peuple aux images officielles se trouve ternie et la crédibilité des autorités commence à s’effriter. Le désaveu culminera en 1973 avec le scandale du Watergate. Le divorce consommé, Thoret montre comment le cinéma épouse alors le regard désenchanté que porte le peuple américain sur sa propre histoire et ses mythologies fondatrices, ce même désenchantement qu’une décennie de reaganisme s’efforcera par la suite à ensevelir sous l’oubli.

Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974)Faisant de la prolifération d’images du 11 septembre un lointain mais résonant écho de celles du meurtre de Kennedy, l’auteur creuse la capacité des américains à se raconter au travers du cinéma. Abondamment illustré et agrémenté d’une préface aussi concise que bouleversante d’Arthur Penn, conseiller en communication audiovisuelle de John puis de Robert Kennedy dont il ne cessera de ressasser les morts violentes tout au long de sa carrière, 26 secondes : L’Amérique éclaboussée est un livre incontournable pour qui s’intéresse à la période charnière entre classicisme hollywoodien et modernité du nouvel Hollywood.

26 secondes : L’Amérique éclaboussée est disponible aux éditions Rouge profond

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