Déviances | Musique

Allelujah! Don’t Bend! Ascend!
un album de Godspeed You! Black Emperor (2012)

Allelujah! Don't Bend! Ascend! - Godspeed You! Black EmperorAprès dix longues années d’un hiatus consacré au développement de multiples sideprojects, Godspeed You! Black Emperor revient en 2012 avec un cinquième opus. Premier enregistrement studio depuis Yanqui U.X.O., Allelujah! Don’t Bend! Ascend! fut discrètement lancé pendant un concert tenu au début du mois d’octobre. Cette démarche marquée par l’abstinence à la communication malgré l’impatiente attente d’admirateurs fidèles peut surprendre mais n’est que caractéristique de la farouche volonté d’indépendance du groupe. Fin 2010, les membres de Godspeed se réunissaient déjà pour faire résonner, le temps d’une poignée de concerts, leur funeste bourdonnement d’accords saturés que ponctuent les joutes d’agonisants violons et de guitares aériennes. Resteront à jamais gravées dans la mémoire de ceux qui étaient présents la date parisienne et les visions d’un monde ravagé qui y défilaient en toile de fond. De hautes lettres évasives se précisaient, raturant le fond noir de l’écran, interrompant ce flux d’images d’une apocalypse imminente pour former un mot unique et évanescent: « hope ». De ces dissonantes symphonies à la tristesse infinie émergaient en parallèle des mélodies sculptées dans l’air du temps, fugitivement matérialisées telles d’ultimes lueurs d’espoir avant que les musiciens ne se laissent enfin prendre dans les torrents d’une assourdissante débauche d’énergie.

Composé de deux morceaux de vingt minutes, chacun suivi d’une piste plus concise, Allelujah! Don’t Bend! Ascend!, sans trop bousculer nos habitudes, empreint d’une énergie retrouvée le retour du groupe. « Mladic », qui ouvre l’album, augure par son intensité d’une orageuse prise de position. Les guitares hurlent un riff agressif qui ne laissera pas le moindre répit à l’auditeur. Même lorsqu’il ralentit, le martellement ininterrompu des percussions conserve au morceau une lourdeur et une densité sonore qui retentissent ici comme autant de synonymes d’une rage plus que jamais assumée. « We Drift Like Worried Fire », succédant au grésillant interlude « Their Helicopters’ Sing », est l’occasion de retrouvailles avec un Godspeed plus conforme aux attentes mais dont la redoutable efficacité parvient toujours à prendre au dépourvu avant d’émerveiller. Après une introduction éthérée, le morceau s’enferme dans une menaçante boucle, spiralant jusqu’à trouver sa stridente échappatoire. Nous emportant dans l’euphorie d’un grandiose tourbillon final, le morceau nous abandonne sur les rivages dévastés de nos émotions. Se concluant sur « Strung Like Lights At Thee Printemps Erable », un réverbérant larsen de près de sept minutes, l’album s’ancre dans la désillusion actuelle et confirme la politisation sans concessions d’une musique aphone mais plus éloquente que bien des paroles.

Godspeed You! Black Emperor (©Kmeron)Présente dans leur iconographie depuis F#A#∞, premier album où dès « The Dead Flag Blues » une lointaine transmission dépeignait un monde à feu et à sang, l’imagerie post-apo aura valu au groupe d’être hâtivement étiqueté post-rock. Godspeed You! Black Emperor, providentiel bâtard du drone, du rock mélodique et de mille autres influences et expérimentations, défie cependant toute tentative de classement, suivant l’inspiration pour traduire en musique leur révolte contre une société qui, de jour en jour, s’enfonce au plus profond des ténèbres.

Les albums de Godspeed You! Black Emperor sont disponibles chez Constellation

3 personnes ont commenté l'article

  1. Je l’ai reçu pour mon anniversaire. Beaucoup aimé mais je trouve que la structure des divers morceaux commence à un peu trop devenir prévisible…

    Bon, maintenant le HS: tu prévois de voir Looper? Je serais curieuse de lire ce que tu as à en dire…

    1. Content de te voir dans les parages. C’est sûr que la musique de Godspeed repose toujours sur la même formule, mais ici si c’est le cas pour « We Drift… » je trouve que « Mladic » est très différent de ce que le groupe avait enregistré avant. C’est beaucoup plus sombre et colérique. D’après ce que j’ai pu lire, les morceaux d’Allelujah! datent de l’époque de Yanqui et le groupe travaille sur un nouveau morceau de quarante minutes. Il faut peut-être donc voir l’album comme un tour d’échauffement après dix années d’absence en attendant le véritable retour. Quoi qu’il en soit, même si les compositions reposent sur une structure identique, je les trouve toujours diablement efficaces et l’album est très bon dans son ensemble.

      En ce qui concerne Looper, je pense aller le voir. Bien que ça n’ait pas l’air de voler très haut j’espère m’amuser. On verra.

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