Déviances | Musique
Blues Pills, un album des Blues Pills (2014)
Groupe sous influence, les Blues Pills nous livrent avec ce premier album un grisant déluge sonore qui puise son énergie autant dans le rock électrisant que dans l’émotivité profonde du blues et de la soul.
Entre un rock fiévreux sous forte inspiration sixties et des compositions planantes teintées de soul, l’écoute des Blues Pills s’avère addictive à l’extrême. La musique de ces jeunes musiciens expose nos fragiles tympans à des riffs incandescents, nos émotions à des mélodies intimistes dont émane une force primitive et notre être tout entier à une voix tombée, telle un ange déchu, des cieux. Comme le suggère la resplendissante illustration de Marijke Koger-Dunham qui adorne ce premier album du groupe, le Summer of Love n’est jamais très loin. À l’évidente influence flower-power le quatuor oppose cependant une puissance et un occultisme propres aux débuts du hard et aux origines du rock, recadrant l’ensemble dans des structures qui n’ont rien à envier à la redoutable précision des plus prodigieux artisans du British blues boom. Conjuguer Cream, Blue Cheer et Aretha Franklin, faire rimer Fleetwood Mac avec Jimi Hendrix ou encore Black Sabbath, voilà en somme le défi que se sont orchestrés les Blues Pills, leurs efforts aboutissant à l’un des plus remarquables albums de 2014.
À mesure que le groupe se découvrira de nouveaux admirateurs – et avec un premier opus d’une telle qualité cela semble inévitable – il sera beaucoup question de ses deux éléments les plus ostensiblement virtuoses : Elin Larsson et Dorian Sorriaux. Chacun des dix morceaux qui composent l’album repose pourtant, avant tout, sur une parfaite cohésion entre les musiciens. Que les premiers instants de « High Class Woman », le morceau d’ouverture, mettent à l’honneur le vrombissement saturé de la basse de Zack Anderson et les variations métronomiques des percussions de Cory Berry n’est d’ailleurs sans doute pas le fruit du seul hasard. Omniprésente, la section rythmique fournit par ses grooves entêtants une assise sans fioritures aux envolées lyriques et émotionnelles de la chanteuse et du guitariste. Cette retenue, cette volonté d’attendre le moment propice pour introduire aux arrangements de nouveaux éléments et se laisser emporter dans la contagieuse débauche d’énergie, se retrouvera chez les Blues Pills des électrisants morceaux rock aux compositions les plus lancinantes.
Si « Ain’t No Change », « Devil Man » ou « Gipsy » renvoient de par leurs rythmes tonitruants, leurs refrains explosifs et leurs solos stridents aux grandes heures du rock, du hard et du heavy, Blues Pills dissémine aussi dans sa tracklist une poignée de ballades funestes oscillant entre soul et blues. Sur les tempos plus lents de « River », « No Hope Left For Me » ou « Little Sun », Larsson et Sorriaux s’arment de subtilité pour sculpter des mélodies viscérales dans une émotion à l’état brut. Avec le sabbathien « Black Smoke » ou le dantesque « Astralplane », sur lequel la voix rugissante d’Elin Larsson transcende les rythmes et les riffs les plus assourdissants de ses compères, le groupe atteint un équilibre déconcertant de naturel entre ses divers penchants stylistiques et ses inspirations majeures. Livrant des compositions à la fois lourdes et aériennes, qui sentent le souffre mais se parent d’une ravageuse beauté nocturne, les Blues Pills nous ensorcellent dès lors de cette même énergie envoûtante qui infuse leur musique ; nous illuminent de cette mélancolie qui n’aura cesse d’étinceler avec une infinie grâce sous le déluge grisant de son.