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Jodorowsky’s Dune
un film de Frank Pavich (2013)

Jodorowsky's Dune (Frank Pavich, 2013)L’Histoire du cinéma est émaillée de ces récits d’œuvres mythiques que les spectateurs ne découvriront jamais que par le biais de leur imaginaire, au travers de rares fragments encore existants et des rumeurs fantaisistes qui ont tendance à les entourer. Parmi ces films, que leurs copies se soient égarées entre deux projections ou que leur développement ait échoué à un stade embryonnaire de la production, il en est un qui me fait depuis toujours fantasmer plus que tout autre : l’adaptation de Dune par Alejandro Jodorowsky. Je ne saurais dire si c’est parce que j’ai découvert son œuvre avec L’Incal, une saga qui découle justement de l’échec du projet, toujours est-il qu’en prenant pour sujet cet épisode méconnu de la carrière du mystique réalisateur d’El Topo (1970) et Santa Sangre (1989), Frank Pavich ne pouvait qu’éveiller ma curiosité avec son documentaire.

Jodorowsky's Dune (Frank Pavich, 2013)Fort du succès inespéré de La Montagne sacrée (1973), dont il assura la distribution française, Michel Seydoux donne au milieu des années 1970 carte blanche à Jodorowsky dont il souhaite produire le film suivant. Celui-ci arrêtera instinctivement son choix sur Dune, ce roman de science-fiction écrit par Frank Herbert en 1965 et qu’il n’avait même pas encore pas lu. De 1974 à 1976, le réalisateur va s’atteler à concrétiser ce projet fou, imaginant déjà son film révolutionner le cinéma et la science-fiction. Alors qu’il a réuni Mœbius, Dan O’Bannon, Chris Foss et H.R. Giger pour l’assister dans la conception artistique du film, obtenu l’accord de principe d’Orson Welles, Salvador Dali, Mick Jagger ou encore David Carradine pour interpréter certains des rôles principaux, et engagé Pink Floyd et Magma pour en composer la musique originale, la production va toutefois caler le jour ou Jodo et son producteur se rendent à Hollywood à la recherche de partenaires financiers. La faute à quelques millions de dollars manquants pour couvrir les frais de production, une somme qui ne suffirait même plus de nos jours à financer une fraction du budget promotionnel d’une œuvre de pareille ampleur.

Jodorowsky's Dune (Frank Pavich, 2013)Cette œuvre dantesque, conçue tel un messie cinématographique qui aurait les mêmes effets sur ses spectateurs que ceux entraînés par la consommation de LSD, Jodorowsky n’en aura donc jamais tourné la moindre image. Grâce toutefois à son méticuleux travail de préparation, Dune a pris une véritable forme à la fois dans l’esprit de son instigateur et sur papier, au travers d’un impressionnant storyboard qui aura fait le tour des studios hollywoodiens sans malheureusement trouver preneur. Ce ne sont pas moins de 3000 plans que Mœbius a esquissés, 3000 croquis plus ou moins travaillés qui dessinent les contours de ce qu’aurait du devenir ce film. Chacun des personnages principaux s’y trouve ébauché et côtoie les œuvres de H.R. Giger, chargé du design des vils Harkonnen, ou de Chris Foss, l’illustrateur anglais de nombreuses couvertures de romans de science-fiction à qui Jodorowsky confia l’élaboration des vaisseaux spatiaux. Sans jamais s’émanciper du cadre limitatif du reportage, Jodorowsky’s Dune nous révèle, par l’animation de séquences storyboardées et l’entrecroisement des témoignages de nombreux collaborateurs, toute l’ambition qui régnait sur ce projet fou et laisse le spectateur forcément rêveur.

Jodorowsky's Dune (Frank Pavich, 2013)Il faut le rappeler, La Guerre des étoiles ne sortirait qu’en 1977 et la science-fiction est alors cantonnée en très grande partie à la série B, peu de producteurs y percevant une quelconque promesse de rentabilité commerciale. Il est dès lors impossible de concevoir quelle réception aurait attendu un space opera si radicalement différent du film de George Lucas, quel impact il aurait eu sur le reste de la production. Une chose est certaine : même sans avoir vu le jour, le Dune d’Alejandro Jodorowsky nous a légué un réel héritage culturel. De L’Incal, œuvre séminale de la science-fiction que je citais en ouverture, à Alien : Le huitième passager (Ridley Scott, 1979), sur lequel collaboreront dans la foulée Dan O’Bannon, Mœbius et H.R. Giger, en passant par Terminator (James Cameron, 1984) ou encore Contact (Robert Zemeckis, 1997), le Dune de Jodorowsky hante le cinéma d’anticipation sous toutes ses formes. S’immisçant ainsi dans nos mémoires de spectateurs, le film continue d’irriguer l’imaginaire collectif, inspirant à de nouvelles générations de réalisateurs toute la démesure d’un Jodorowsky au sommet de la créativité artistique.

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