Cinéma | Nouvelles du front

The Land of Hope (Kibô no kuni)
un film de Sono Sion (2012)

The Land of Hope - Sono SionCette terre d’espoir qu’évoque le titre du bouleversant Land of Hope n’est autre que le Japon de l’après-Fukushima : une nation meurtrie par le cataclysme autant dans sa chair que dans son âme. Le souvenir de la dévastation y est toujours à vif ; la crainte persistante du nucléaire plus présente que jamais dans un imaginaire collectif pourtant habitué aux catastrophes naturelles. En imaginant que se rejoue à l’identique le scénario de mars 2011, c’est à la dimension psychologique du traumatisme que va s’intéresser Sono Sion pour mettre en scène, avec une remarquable pudeur, le drame humain dans toute sa complexité. En refusant obstinément toute forme de sensationnalisme, le réalisateur sublime d’ordinaires héros portés par la nécessité de reconstruire leurs vies et explore l’insondable détresse qui subsiste, aujourd’hui encore, parmi les décombres de Fukushima.

The Land of Hope - Sono SionSuite à un tsunami, l’explosion d’une centrale nucléaire met à l’épreuve l’unité et les raisons d’être de trois couples issus du même village agricole mais de générations différentes. Alors que la zone d’évacuation s’arrête à quelques pas de sa maison, Yasuhiko, un fermier âgé, obligera son fils à se réfugier dans une ville lointaine. Si lui-même ne quitte pas le village, c’est autant par amour pour Chieko, son épouse malade pour qui tout chamboulement présente un risque potentiel, que par attachement au pays de ses ancêtres. Enracinés dans cette terre, comme l’arbre planté le jour de leur mariage, ils nourrissent l’envie d’affronter ensemble la mort et ne connaissent pas la moindre raison de fuir. S’apprêtant à devenir père, leur fils Yoichi devra se détacher d’eux et bâtir ailleurs un foyer pour sa femme et l’enfant qu’elle porte. La paranoïa d’Izumi, née de son instinct maternel et du compteur Geiger que lui a légué son beau-père, deviendra bientôt invivable et le couple devra apprendre à retrouver espoir ou vivre à jamais dans la peur. D’abord présenté comme un bon-à-rien, Ken va quant-à-lui s’affirmer en aidant Yoko à chercher sa famille disparue dans l’accident. Négligés à première vue, leurs promenades au milieu des ruines donneront certaines de ses plus belles scènes au film car c’est en leur jeunesse que réside finalement l’avenir.

The Land of Hope - Sono SionEn passant d’un récit à l’autre après l’éclatement initial de ses personnages, The Land of Hope parvient à un équilibre poignant entre le tragique et un quotidien qui, malgré tout, perdure. Qu’il s’agisse de continuer comme avant ou de ressasser les événements, tous les personnages éprouvent le besoin fondamental de se tourner vers l’avenir, ses promesses et ses défis. En les cadrant dans des plans souvent longs, fixes et d’ensemble, la mise en scène resitue habilement les déambulations de ses protagonistes à la lisière de l’effondrement et de l’espoir. Reléguées à une télévision en fond de plan, les images d’archives de Fukushima sont assimilées aux irresponsables mensonges d’état mais celles, réelles, de la dévastation sont omniprésentes. A la recherche des vestiges du passé, les rescapés s’égarent parmi les ruines et parviennent même à les oublier le temps d’une réminiscence. Lorsqu’ils reviennent à eux, le constat est cependant toujours le même ; la réalité aussi difficile à accepter. C’est dans ces décombres, où s’unissent toutes les dimensions du drame, que la poétique de l’œuvre touche à son paroxysme. Parsemé de signes de vie – les dessins de Chieko, le rire d’Izumi – le film oppose partout l’espoir à la résignation pour faire jaillir une rageuse beauté au sein d’images de destruction et émanciper ses personnages, lors d’un final parfaitement amené, du fatalisme ambiant.

The Land of Hope - Sono SionAu travers des motifs de la folie, de la démence, et de la mort, Sono Sion place l’idée de la perte en plein cœur de son récit et suggère qu’il incombe désormais au Japon d’accomplir un travail sur la raison, la mémoire et le deuil. Porté par une écriture et des performances lumineuses, The Land of Hope transcende la gravité de son sujet par la qualité et l’intelligence de sa mise en scène pour composer une somptueuse ode à la vie.

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