The Beast Within
un film de Philippe Mora (1982)
Publié par Marc Fairbrother le 12 octobre 2014 dans La Crypte
Je vois déjà arriver la question qui tue… Ben oui, que voulez-vous ? À voir l’hémoglobine couler à flots, l’enchaînement de scènes choc et une écœurante mutation à base d’effets mécaniques, de latex et de maquillages exécutés avec autant de soin que d’amour, il ne peut y avoir de doute. The Beast Within est de toute évidence un énième spécimen de creature feature estampillé « années 1980 ». Scénarisé par Tom Holland (Vampire, vous avez dit vampire ?, Jeu d’enfant), le film se démarque néanmoins du lot pour nous offrir, sans se hisser au rang des œuvres séminales du genre que signèrent Joe Dante et John Landis à la même période, un honnête divertissement de série B qui supporte sans trop de mal le poids des ans. Réalisateur entre autres du western australien Mad Dog Moran (1976) et d’un Hurlements III (1987) infesté de vicieux marsupiaux anthropomorphes, Philippe Mora insuffle ici au film de monstre un léger vent de folie. Son imprévisible loufoquerie hante The Beast Within d’un humour sinistre, le rythme menaçant dont il imprègne la narration augurant de dégoulinantes horreurs lovecraftiennes et bien pire encore.
Par une coutumière nuit de pleine lune, au beau milieu d’une lugubre route forestière, la voiture des MacCleary va tomber, comme l’on pouvait s’en douter, en panne. Rien d’anormal jusqu’ici mais le récit ne tardera pas à sérieusement dérailler. Alors que son mari rebrousse chemin à pied, Caroline – en parfaite greluche qu’elle est – trouvera le moyen de s’assommer contre un tronc d’arbre pour se laisser aveuglément féconder par la libidineuse créature des marais qui rode aux alentours. Avant le retour d’Eli, la bête se retranchera dans son obscure tanière pour pousser un ultime soupir sans laisser la moindre trace de sa véritable nature. S’ensuivra un fondu au noir sur le malheureux Eli cajolant le corps meurtri de son épouse. The Beast Within peut enfin démarrer à proprement parler et vous ne me ferez pas croire qu’une séquence d’ouverture au goût aussi douteux vous l’aviez senti venir…
Dix-sept années passeront avant nos retrouvailles avec un couple MacCleary désormais inquiet du sort de leur fils. Cloué au lit, Michael souffre d’une maladie qu’aucun de ses médecins ne parvient à identifier. Les doutes des spécialistes comme de ses parents se tourneront dès lors vers le patrimoine génétique du jeune homme, confrontant Eli et Caroline aux fantômes d’un passé tragique pour obliger le couple à retourner sur ses pas en quête de vérité. Michael lui-même s’éveillera bientôt de sa torpeur, attiré par des visions cauchemardesques vers le lieu de sa propre et ignoble conception. Arrivée à Nioba, petite ville de l’angoissant arrière-pays américain, la famille MacCleary se heurtera cependant au mutisme hostile de la population locale qui, sous le joug de l’influente dynastie Curwin, a manifestement plus d’un terrible secret à dissimuler aux yeux du reste du monde.
Lorgnant autant du côté d’une horreur atmosphérique que vers l’épouvante pulp et la science-fiction old-school, The Beast Within est un film tout en ruptures de tons. À une première heure qui instaure, par une poignée de scènes captivantes, un climat aussi angoissant que malsain, succédera un acte final à l’énergie démente que ne renierait ni l’écran de drive-in, ni le bouffeur de pop-corn les plus éhontés de l’Amérique profonde. Disséminant des perles d’humour noir (« La sodomie orale ? » ou encore « On l’a embaumé… vivant! ») entre la découverte d’un charnier et la lutte des MacCleary pour la survie de leur fils, Mora varie les registres pour enchaîner gags visuels et séquences horrifiques à un rythme effréné. Porté par un casting solide, les vétérans Ronny Cox, Bibi Besch, R.G. Armstrong et L.Q. Jones assurant le métier aux côtés d’un Paul Clemens inexpérimenté mais habité par son rôle d’adolescent damné, le film reste donc un joyeux et déviant bordel qui tient la route malgré son penchant pour la dérive. The Beast Within s’arme de cet humour irrévérencieusement décalé pour mieux subvertir les lois du genre qu’il investit et nous prendre au dépourvu, une dangereuse folie créatrice sémillant sous la surface de ce qui aurait du n’être qu’un film d’exploitation aussi typique de son époque que des dizaines d’autres.