Cinéma | Nouvelles du front

40 ans : mode d’emploi (This is 40)
un film de Judd Apatow (2012)

40 ans : mode d'emploi - Judd ApatowApprenant que trois longues années après Funny People, Judd Apatow prévoyait de ressusciter deux personnages secondaires d’En cloque, mode d’emploi pour son retour derrière la caméra, même ses plus fidèles admirateurs étaient en droit de craindre une cruelle panne d’inspiration. Dans son dernier opus, aussi drôle et touchant soit-il, on sentait en effet que le rire n’y était plus tout à fait et que le réalisateur tergiversait entre le genre qu’il avait su revitaliser depuis la fin des années 1990 et un registre plus sombre. Force est de constater qu’en nous racontant une semaine dans la vie de Pete et Debbie, où les deux amoureux atteignent à quelques jours d’écart la quarantaine, avec 40 ans : mode d’emploi Apatow confirme son statut de roi indiscutable de la comédie sentimentale contemporaine.

Prolongeant le regard d’une effrayante modernité qu’En cloque jetait déjà sur le couple comme archétype social, ce spin-off à fleur de peau poursuit une réflexion thématique proche. Cependant, ici ce ne sont plus les raisons de la formation d’un couple qui sont mises en doute, mais bien celles de sa continuité. Rattrapés par l’âge, la routine et l’échec imminent de tout ce qu’ils ont entrepris, Pete et Debbie s’accrochent l’un à l’autre pour ne pas laisser s’écrouler leurs dernières illusions. Alors qu’ils tentent de sauver les apparences, la caméra d’Apatow cherche désespérément les résidus d’un amour que tous ses personnages semblent avoir oubliés. Mettant en scène sa femme et ses deux filles dans trois des quatre rôles principaux (accompagnées par Paul Rudd que l’on a hâte de retrouver dans Anchorman: The Legend Continues), il ne fait aucun doute que le réalisateur-scénariste nous livre un film personnel à l’extrême, nourri de l’intimité familiale, mais qui ne perd jamais de vue sa portée universelle.

40 ans : mode d'emploi - Judd ApatowDepuis Freaks and Geeks, l’écriture d’Apatow n’a cessé d’étonner par la précision avec laquelle elle cerne ses personnages ; l’aisance avec laquelle elle passe d’un rire gras à l’évocation fine d’une vaste palette émotionnelle. Bien qu’hilarants, les gags d’ordre visuel ou linguistique laissent intelligemment la vedette aux personnages. De même, cette mise en scène qui s’efface au profit du jeu des acteurs. Chez lui la comédie n’est pas tant une fin en soi qu’une dédramatisation radicale des malheurs du quotidien, faisant du rire l’instrument thérapeutique qui permet de disséquer bien des troubles internes. Sa défense de valeurs traditionnelles lui vaut d’être étiqueté « cinéaste réac » par d’hypocrites petits-bourgeois ; j’aimerai les voir renier leurs familles, leurs proches et leurs possessions avant de lui intenter ce faux-procès. Son regard moins cynique que celui d’un Billy Wilder, moins névrosé que celui d’un Woody Allen, lui vaut de ne pas être pris au sérieux. Pourtant, le spectateur peinera à ne pas se retrouver dans les impudiques défauts dont Apatow s’amuse.

C’est une éternelle plaie de la comédie que de ne pas être reconnue à sa juste valeur et si Apatow signait de misérabilistes drames voilà bien longtemps que tous auraient applaudi la modernité de son discours acerbe. Seulement Judd tient à nous faire rire et à traiter de problèmes sérieux avec légèreté. Il faut espérer qu’il continue ainsi car ses quatre long-métrages, de 40 ans toujours puceau à 40 ans : mode d’emploi, forment déjà un tout d’une remarquable cohérence et offrent le reflet de gens banals, devenus si rares à l’écran, cherchant des repères dans un monde toujours plus impersonnel.

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