Cinéma | Nouvelles du front

A la merveille (To the Wonder)
un film de Terrence Malick (2012)

A la merveille - Terrence MalickComment enchaîner après une œuvre aussi ambitieuse et, on l’imagine, épuisante que The Tree of Life ? Terrence Malick, lui qui laissait autrefois s’écouler une dizaine d’années entre chaque offrande faite à ses spectateurs, semble trouver une réponse dans la reprise directe et la variation. Mais si A la merveille est indéniablement une émanation de son frère aîné, retravaillant les mêmes thèmes et enjeux artistiques, il en prend le contre-pied radical en les déclinant sur une gamme mineure. Là où le Palme d’or de 2011 poursuivait l’état de grâce dans les hautes sphères des naissances et des cosmogonies, Malick tourne cette fois son regard vers un quotidien plus terre-à-terre dans l’espoir d’y déceler des traces d’un amour divin ou sensuel.

Plus proche du poème visuel que du récit classique, mais sans pour autant tomber dans la lourdeur de l’exercice de style et du symbolisme, A la merveille affirme surtout le penchant de son réalisateur pour une esthétique voisine de l’impressionnisme. Les plans s’enchaînent avec une liberté totale, contribuant chacun une nouvelle touche à l’ensemble de la toile, créant moins de véritables scènes qu’elles ne traduisent en images le mélancolique dialogue qu’entretiennent les principales voix de l’histoire. Se répondent ainsi celles d’un couple qui, après s’être tant aimé sur les marches du Mont-Saint-Michel, se retrouve au bord de la rupture ; deux épanchements auxquels fait écho l’aparté d’un prêtre doutant de la présence de Dieu en ce monde et donc de sa vocation elle-même. Bien que cet esseulement place la crise existentielle au cœur de l’œuvre, il ne faut pas s’attendre à une quelconque exploration psychologique : les personnages n’existent ici que pour être filmés, leurs émotions pour être exacerbées par l’image et le son. Déambulant dans les chantiers, les ruelles sordides et les champs de blé ; bredouillant d’inintelligibles paroles, les acteurs s’effacent à la faveur de la caméra, de ses mouvements et cadrages, et de la vision cinématographique de Malick qui devient le seul moteur du film. Le réalisateur célèbre aussi bien ses décors naturels qu’urbains, les sublimant de son doux et lumineux regard, magnifie autant les expressions que les gestes de ses acteurs dont même les voix se muent peu à peu en textures purement musicales. C’est ainsi la mise en scène elle-même qui élève ce récit anecdotique au rang d’œuvre profondément bouleversante.

A la merveille - Terrence MalickSi Malick ouvre aussi des pistes de réflexion qu’il vous sera libre de creuser, qu’il fait s’entrechoquer nombre de références culturelles plus ou moins obscures, il n’est aucunement nécessaire de tout comprendre pour jouir de son nouveau film. Le tout est de s’y abandonner comme on se laisserait bercer par les mouvements d’une langoureuse symphonie, de remettre l’entendement à plus tard. Evoquant l’évanescence de sentiments insaisissables, A la merveille éclaire le rapport humain d’une lumière nouvelle et tendre. Et ce qu’il faut sans doute en retenir est que même la plus simple des histoires, lorsqu’elle est racontée avec justesse et fraîcheur, peut encore jouer subtilement de nos émotions aux cordes les plus usées.

9 personnes ont commenté l'article

    1. Le film va diviser, je m’en doute. Il faut le voir pour se faire une idée parce que je pense que chaque réaction sera assez personnelle. Si t’avais aimé The Tree of Life, il y a des chances que tu apprécies A la merveille, sinon ça va être un peu plus compliqué.

  1. « mais sans pour autant tomber dans la lourdeur de l’exercice de style et du symbolisme »

    Bah justement j’ai trouvé que c’était le cas, que le film n’est qu’un exercice de style, finalement dénué de fond et dont les personnages ne sont que des coquilles à travers lesquels Mallick exprime ses pensés.
    Je ne crois pas qu’on soit vraiment dans l’impressionisme, je pense que Mallick reste purement et simplement dans la même veine transcendantaliste(et donc romantique) qu’il a toujours chérie mais il n’a plus la substance narrative et les personnages pour faire vivre sa pensée et l’élever vers quelque chose de moins didactique. Mallick s’est presque mis à fonctionner par thème (un film sur la vie avec Tree of life, un film sur l’amour avec A la merveille, je parie donc que son prochain film devrait être sur la mort…) et malheureusement cela rend son cinéma trop caricatural (ou en tout cas artificiel) et simpliste à mon gout.

    Après oui il n’y a rien à redire à la mise en scène toujours aussi inspiré et élégante mais je ne trouve malheureusement plus ce qui m’enchantait et me surprenait tant dans des films comme La Ligne Rouge ou Le Nouveau Monde.

    1. Mes films préférés de Malick restent encore La Ligne rouge et Les Moissons du ciel et, si on retrouve certains éléments de mise en scène et narratifs dans dans son cinéma actuel, avec Tree of Life puis A la merveille il me semble qu’il s’est radicalisé. Ce que tu perçois comme un manque de substance narrative ou de développement des personnages, je le prends davantage comme une désertion du cinéma narratif pour aller vers quelque chose d’ordre plus poétique. En somme, je pense qu’il finira par filmer des plantes en lisant du Heidegger en voix-off et que ce sera tout aussi émouvant.

      Certes, les personnages sont caricaturaux (car ce sont des types) mais l’expression de leurs sentiments est plus forte que jamais grâce à la technique narrative. Leurs voix-off sont un peu lourdes ici, mais elles ne reflètent pas forcément la pensée de Malick et il faut s’en distancier un peu (je pense qu’il y a un brin d’ironie dans le film plus subtil qu’il n’y paraît). Quand je parle d’impressionnisme c’est surtout au niveau formel et ça n’empêche pas la continuité du transcendantalisme dans ses idées, ni de l’existentialisme ou d’autres courants qu’il a abordé au fil des œuvres. Sa façon de saisir différents moments et de les assembler pour créer des scènes (désormais construites sur un sentiment ou une idée plutôt qu’une action) me rappelle la manière dont les peintres impressionnistes arrivaient à un tout en capturant la lumière et les couleurs dans chaque petite touche de leur pinceau. C’est déjà présent dans ses films précédents mais je trouve que cette une forme qu’il explore de plus en plus.

    1. Avec le recul je préfère quand même The Tree of Life pour son côté démesuré mais je comprends que l’on puisse lui préférer ce film plus intimiste sur des sujets voisins. T’as vu Les Moissons du ciel?

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