Cinéma | Nouvelles du front

Inside Llewyn Davis
un film de Joel et Ethan Coen (2013)

Inside Llewyn Davis - Joel et Ethan CoenEn bon héros de la fainéantise, dans le Los Angeles des années 1990 Llewyn Davis serait devenu un dude. En 1961 à New York, où ambition et décontraction rimaient encore, il s’essayait à la musique tout en courant après la gloire. Sur ses pas, les frères Coen arpentent les trottoirs de Greenwich Village et nous font entrer dans les bars enfumés du célèbre quartier bohème où balbutiait une scène artistique s’apprêtant à bousculer l’ordre établi. Auteur d’un album solo, malgré son talent le jeune chanteur peine à renouer avec le succès d’un premier tube signé en duo. Les opportunités de travailler en tant que musicien se faisant rares, il se retrouve à squatter les canapés d’amis plus fortunés que lui et se résigne lentement à l’idée de réintégrer la marine marchande pour y vouer, comme son père, ses meilleures années. Dépité face à la réussite de musiciens moins intransigeants et par l’ouragan de catastrophes dont il se trouve être au centre, Llewyn verra dans l’occasion de se rendre à Chicago une ultime chance de relancer sa carrière.

Inside Llewyn Davis - Joel et Ethan CoenDès qu’on parle de folk américaine, l’ombre de Bob Dylan se met à planer avec toute la légèreté d’une chape de plomb. D’autant plus qu’Inside Llewyn Davis s’ouvre en 1961 au mythique Gaslight ; la salle de concert où le génial troubadour se fit d’abord remarquer. C’est pourtant l’histoire d’un autre chanteur, Dave Van Ronk, qui aura inspiré aux frères Coen un de leurs films les plus aboutis de ces dix dernières années et dont le tour de force est de presque nous faire oublier, pour la durée de la projection, l’un des musiciens les plus importants de sa génération. Film somme qui revisite nombre de thèmes chers au duo, des affres de la création artistique (Barton Fink, 1991) au récit de voyage qui doit autant à Steinbeck et Kerouac qu’à Homère (O’ Brother, 2000), Inside Llewyn Davis est avant tout l’évocation minutieuse d’une époque mâtinée d’une profonde nostalgie. Servi par l’excellente direction musicale de T-Bone Burnett, qui avait déjà produit la bande originale de O’ Brother, le film est porté par des acteurs impressionnants de justesse. Evoluant entre drame, comédie et performances musicales, Oscar Isaac, Carey Mulligan et Justin Timberlake négocient l’ensemble des registres avec une indéniable classe. Dans les rôles secondaires, John Goodman est au sommet endiablé de sa forme et les tronches de nouveaux venus (Adam Driver et Garrett Hedlund les premiers) complètent parfaitement un arrière-plan grouillant toujours de détails hilarants.

Inside Llewyn Davis - Joel et Ethan Coen Confié au directeur de la photo Bruno Delbonnel (Le fabuleux destin d’Amélie Poulain et Faust), le traitement visuel intimiste du film en constitue l’une des principales forces. Se déroulant au cours d’une froide semaine hivernale, Inside Llewyn Davis passe au gré des pérégrinations de son héros des extérieurs glaciaux des rues enneigées de New York à l’ambiance feutrée des bars où il cherche quelques instants de repos. Plutôt qu’une quelconque chaleur humaine, ces lieux ne lui renverront cependant que le reflet de ses propres échecs artistiques et relationnels. L’image capte à merveille ce lourd sentiment d’isolation qui s’empare de Llewyn, une lumière diffuse la rendant irréelle comme s’il avait lui-même du mal à accepter ce qui lui arrive. Comme souvent pour leurs meilleurs films, les frères Coen s’intéressent ici à la dimension humaine de leur personnage et s’efforcent de traduire visuellement l’ampleur de sa désillusion.

Inside Llewyn Davis - Joel et Ethan CoenSi leur humour décalé sévit bel et bien tout au long du film, que nombre de scènes prêtent à sourire, Inside Llewyn Davis est tout sauf une comédie. Le spectateur éprouvera du mal à se situer au premier abord mais lentement son rire se fera plus grinçant et le récit, notamment lors du voyage cauchemardesque à Chicago, pénètrera les différents états émotionnels de l’artiste épuisé et rongé par l’amertume. D’une époustouflante subtilité, Joel et Ethan Coen signent un film perturbant aux airs de souvenir douloureux, une œuvre qui exprime de façon bouleversante la résignation d’un homme et le terrible sentiment de ne pas avoir été à la hauteur.

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