Cinéma | Nouvelles du front

The Killer Elite
un film de Sam Peckinpah (1975)

The Killer Elite - Sam PeckinpahMike Lockden travaille pour une entreprise privée spécialisée dans l’espionnage et la protection rapprochée mais, alors qu’il protège un témoin pour la CIA, son équipier soudoyé par la concurrence élimine leur client avant de lui tirer dans le genou et le coude pour le propulser vers une retraite anticipée. Devenu infirme, Lockden n’aura, du long de son rétablissement, qu’une idée fixe en tête : recouvrer ses capacités physiques pour goûter enfin à la vengeance. Lorsque son vieil ami refait surface, mêlé cette fois à un complot visant un dissident politique chinois, ses anciens employeurs décident de faire une dernière fois appel à ses services. Lockden, qui n’attendait que cette occasion, accepte volontiers et plongera, sans le savoir, dans un monde où tout n’est que trahison.

Tourné en 1975, The Killer Elite opère la charnière entre la période la plus productive de la carrière de Sam Peckinpah – sept films exceptionnels tournés entre La Horde sauvage de 1969 et Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia en 1974 – et son ultime chef d’œuvre, Croix de fer (1977). Distribué initialement en France sous le titre de Tueur d’élite, c’est sans doute le film le plus nihiliste du réalisateur ; tous les personnages cherchent à s’entuber, les rares hommes qui tiennent encore à leurs valeurs sont considérés comme fous et maintenus à l’écart d’une société où arrivisme est devenu le maître-mot. Si on y retrouve les thèmes de la trahison et de l’amitié, du changement inéluctable d’une société gangrénée par le matérialisme, tous des motifs récurrents chez le cinéaste, il y a aussi un degré d’autodérision inédite jusque-là dans son œuvre. Injectant beaucoup d’humour et d’ironie dans ses dialogues, Peckinpah adresse une critique subtile mais virulente à l’encontre d’Hollywood et de ce que les studios attendaient de lui : de l’action et ce qu’ils percevaient bêtement comme une violence gratuite susceptible de rameuter les foules.

The Killer Elite - Sam PeckinpahTout au long de son œuvre, Peckinpah s’est intéressé en premier lieu à ses personnages dont il a souvent fait ses propres alter-égos. The Killer Elite ne fera pas exception à la règle. S’il livre au cours du film une action fulgurante mise en scène avec son talent habituel, il y suspend désormais complètement le récit et, comme le soulignait à juste titre Pauline Kael1, il poussera celle-ci vers une abstraction poétique totale, notamment lors du final situé dans le décor surréel d’un cimetière pour navires de guerre tombés en désuétude. Encadré à merveille par les seconds couteaux que sont Bo Hopkins, Burt et Gig Young ou encore Mako, l’affrontement entre Lockden (James Caan) et son ancien partenaire (Robert Duvall) se fait ainsi l’écho de la lutte que Peckinpah devait trop souvent mener contre ses employeurs pour donner forme à sa vision sans concessions du monde.

Soyons francs, The Killer Elite ne constitue pas une porte d’entrée idéale dans la filmographie de Peckinpah dont il restera une pièce mineure, mais pour tous ceux qui chérissent son œuvre éminemment personnelle c’est un film à découvrir avec beaucoup de plaisir. Qu’il s’agisse de la version cinéma ou du director’s cut, Wild Side nous propose des copies impeccables tant sur le plan visuel que sonore. En prime, l’éditeur nous offre un extrait du documentaire Passion and Poetry : The Ballad of Sam Peckinpah ; portrait souvent émouvant du réalisateur américain réalisé par Mike Siegel et narré par son ami Monte Hellman, qui officia en tant que monteur sur The Killer Elite, où certains de ses plus fidèles collaborateurs (Katherine Haber, James Coburn, Kris Kristofferson) évoquent l’homme et ses films qui resteront un chapitre majeur dans l’histoire du cinéma.

1« Notes on the Nihilist Poetry of Sam Peckinpah », article de Pauline Kael paru dans The New Yorker, daté du 12 janvier 1976.

The Killer Elite de Sam Peckinpah est disponible en DVD et Blu-ray chez Wild Side

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