Cinéma | Nouvelles du front

Godzilla
un film de Gareth Edwards (2014)

Godzilla (Gareth Edwards, 2014)Malmené par une kyrielle de scénaristes plus ou moins inspirés depuis ses débuts devant la caméra d’Ishiro Honda, Godzilla reste en dépit de ses quelques faux-pas une figure emblématique du cinéma d’effets-spéciaux. Même l’inénarrable pourvoyeur de navets qu’est Roland Emerich n’aura su ternir de façon permanente l’image du Roi des monstres avec son honteuse purge de 1998. C’est dire à quel point le mastodonte en impose… En passant de la production indépendante à un budget considérable, un exercice sur lequel bien d’autres jeunes et talentueux réalisateurs se sont cassés les dents, Gareth Edwards relevait donc en s’engageant sur ce nouvel opus1 un défi colossal. Malgré l’ampleur de la destruction et la titanesque démesure des créatures qui la perpètrent, le cinéaste britannique a choisi d’imposer la sobriété réfléchie de sa mise en scène. Il en parvient à extirper son film de cette torpeur du trop-plein et de l’hystérie visuelle qui pèse sur le blockbuster contemporain, faisant oublier au spectateur les faiblesses d’un scénario sans imagination en faveur de la joie retrouvée d’un divertissement pur.

Godzilla (Gareth Edwards, 2014)Qu’on se le dise, en ce qui concerne le récit et les personnages, le spectateur ne trouvera pas grand chose d’original dans ce Godzilla version 2014. Éveillé par les cris d’un MUTO sur le point d’éclore, le légendaire kaiju émergera des profondeurs du sommeil et de l’océan pour venir botter le cul au présomptueux parasite qui a osé s’installer sur son territoire et jouer les voisins bruyants. Et, (mal?)heureusement, c’est à peu près tout. Il y a bien une poignée de personnages en carton pâte incarnés par des acteurs transparents qui déambulent au milieu du chaos, mais très honnêtement on s’en fout. Gareth Edwards l’a d’ailleurs parfaitement compris, et il prendra un malin plaisir à nous le faire entendre, se montrant souvent expéditif à l’égard des protagonistes humains, se détournant avec dédain de leurs puériles envolées émotionnelles pour recentrer l’attention sur son vénérable sujet et épouser son majestueux regard.

Godzilla (Gareth Edwards, 2014)Dopés à l’action effrénée et au mouvement perpétuel caractéristiques de la production actuelle, beaucoup estimeront que ce Godzilla manque cruellement de dynamisme. Gareth Edwards s’évertue cependant à reconstruire avant tout un mythe. Ainsi, au cours d’une première heure vaguement consacrée aux déboires de la famille Brody, le réalisateur prend le temps de faire table rase pour renouer avec les origines de son sujet. Il semble être de rigueur, en ces temps, de revisiter les grandes figures de la pop-culture. Au lieu de s’égarer, à l’image de maintes préquelles et reboots dans l’exploration didactique d’une psychologie de pacotille, Edwards ne s’intéresse qu’aux origines thématiques et esthétiques de son œuvre. Comme le film dont il s’inspire, qui travaillait aussi bien le traumatisme nucléaire que celui du tremblement de terre qui terrassa le Japon en 1923, le Godzilla de 2014 est donc intégralement voué à montrer notre vulnérabilité face à une puissance de destruction hors-normes, qu’elle soit naturelle ou qu’elle découle de la folie des Hommes.

Godzilla (Gareth Edwards, 2014)Les codes du kaiju eiga, nous les connaissons : des affrontements entre monstres géants, des scènes de panique et bien plus de destruction massive que de raison. Bien qu’il livre l’ensemble de ces éléments fondamentaux, Gareth Edwards ménage le spectateur afin de conférer à chacune des scènes clés de son film l’impact désiré. À l’opposé d’un cinéma de divertissement saturé de money-shots, refilant au spectateur la nausée plutôt qu’un quelconque sentiment d’assouvissement, le réalisateur fait preuve d’une parfaite gestion entre temps forts et moments d’attente insoutenable. Il lui suffit ainsi d’un minimum de plans pour évoquer sans fioritures les attentats du 11 septembre, le tsunami de 2004 et, bien évidemment, le désastre de Fukushima ; autant d’images cataclysmiques ancrés dans l’imaginaire collectif jusqu’à l’aseptisation et qui retrouvent enfin ici toute leur puissance. Le tour de force est d’avoir réservé, et ce jusqu’au bout, un traitement identique aux gargantuesques créatures ; ces seules raisons d’être du film qui en ressortent plus imposantes que jamais.

Godzilla (Gareth Edwards, 2014)Pêchant par la médiocrité scénaristique, le Godzilla de Gareth Edwards reste néanmoins un film aux réelles qualités de mise en scène. Chaque plan résulte d’un choix – que montrer à l’écran ? quand ? – pour renouer avec l’art oublié de raconter non seulement une histoire, mais surtout un propos, au travers d’une narration visuelle maîtrisée. Rarement a-t-on vu ces dernières années autant de cadrages composés avec soin, autant de plans qui durent plus de quelques millisecondes sans que la caméra ne virevolte en tous sens, dans un projet d’une telle ampleur. Chaque séquence est structurée pour faire monter la pression et jouer avec les attentes du spectateur. Plus que toute autre chose, c’est la révélation progressive de Godzilla, des premiers aperçus fragmentaires de sa silhouette massive à l’extase du souffle atomique, qui se fait la démonstration de ce parti-pris.

Godzilla (Gareth Edwards, 2014)Multipliant les points de vue et les manières de filmer pour nous faire mesurer l’énormité du colosse, Edwards compose tout en patience une vision de la destruction à laquelle il insuffle une indéniable dimension mythologique. Sans complexes, il nous embarque des premiers instants aux dernières images de Godzilla dans un pur film de genre. Les piétons effrayés obstruant souvent le premier plan, le spectateur se retrouve pleinement immergé dans le chaotique spectacle qui lui est offert. Aussi abreuvé soit-on d’images impressionnantes et violentes, il devient dès lors impossible de rester insensible au spectacle, de ne pas se retrouver bouche-bée d’admiration et de stupeur alors que le Roi des monstres ravage ses ennemis pour remonter enfin sur son trône. La dévastation qu’il laisse en son immense sillage nous rappelle à notre impuissance. Pourtant, alors que la colossale silhouette regagne lentement l’horizon, nous ne pouvons qu’en redemander ; espérer retrouver ce plaisir d’une immersion totale, la joie d’un cinoche de divertissement réalisé avec passion et visant avant tout le bonheur du spectateur.

1Ce Godzilla cru 2014 est le trentième opus de la série. Le film original de Ishiro Honda, datant de 1954, a aussi donné naissance à deux déclinaisons : aux États-Unis (Godzilla, King of the Monsters! un remontage du film original par Terry O. Morse incluant de nouvelles scènes avec Raymond Burr) et en Italie (le peu diffusé Godzilla de Luigi « Cozilla » Cozzi, sorti en 1976, version colorisée et agrémentée d’une nouvelle bande sonore ainsi que de scènes à la violence graphique toute transalpine).

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  1. Je suis d’accord pour la question de la mise en scène. Mais non, désolée, elle ne me fait pas oublier le jemenfoutisme général du reste. Y compris dans des questions de montage et même de réalisation d’ailleurs. Reprenons pour exemple concret et parlant l’énormité consitutée par l’obstacle devant le bus. Pourquoi faire tomber un énorme poteau (impossible à détourner ou à soulever) qui bloque le bus pour, tout de suite après, faire comme s’il n’avait JAMAIS existé???? Ce sont ces détails-là, trop nombreux, qui font que je ne peux pas adhérer à un film qui m’a pourtant procuré de belles sensations. Parce que là, c’est vraiment prendre les spectateurs pour des cons. Comment expliquer la chose autrement?

    1. Pour moi, prendre le spectateur pour un con se résumerait plutôt à essayer de lui faire croire qu’un film est plus intelligent qu’il ne l’est réellement (Inception, Matrix…) ou le manipuler émotionnellement afin de voiler la pauvreté d’un scénario et de personnages mal écrits (The Dark Knight, Pacific Rim, Gravity…). Ce sont des stratégies typiques de la production contemporaine et j’étais plutôt satisfait de ne pas les retrouver ici.

      1. Oui et non. D’abord, je retire « Matrix » de tes exemples parce qu’il y a quelque chose derrière le brillant de surface. Après, on peut ne pas aimer le jeu de mélange des références ou l’apprécier, on peut trouver les philosophies intéressantes ou basiques, mais c’est autre chose qu' »Inception », il y a matière à réflexion, que celle-ci soit élaborée ou pas. Ce n’est pas un jeu de dupe comme « Inception » peut l’être.

        Par contre, pour moi, ne pas faire en sorte de rendre son histoire/ses images cohérent(e)s quand il aurait suffit de tellement peu pour que ça le soit (mettre la femme sous la douche quand le téléphone sonne, prétexter l’expérimentation pour avoir mis le deuxième muto dans un centre d’enfouissement de déchets, etc.), ne même pas essayer, c’est un manque de respect des spectateurs, c’est se dire « bah, de toute manière, on s’en fout, ils sont venus voir la baston, pourquoi s’emmerder à polir ce qui est autour? ». C’est une démarche presque série Zesque pour un budget colossale qui n’a pas l’excuse du manque de moyens donc. Et ça, ça me donne l’impression d’être prise pour un portefeuille auquel on ne doit même pas une histoire décemment construite. C’est le parangon de ce que le cinéma de divertissement est en train de devenir. C’est l’abandon de l’amour du travail bien fait. C’est me faire comprendre que le spectateur ne vaut même plus la peine d’être traité en animal un tant soit peu intelligent capable de se rendre compte que SI UN POTEAU BARRE LA ROUTE, IL NE PEUT PAS DISPARAÎTRE COMME PAR MAGIE LORS DE LA SCENE SUIVANTE. Merde quoi.

        1. Non, le parangon de ce qu’est entrain de devenir le cinéma de divertissement est justement tout le contraire de ce Godzilla. Le cinéma de divertissement n’assume plus son statut et s’efforce d’être autre chose sans en avoir les moyens (ce qui a la limite n’est pas une véritable faute) ni la volonté (ce qui me paraît beaucoup plus grave) car après tout il ne faudrait pas perdre le spectateur moyen au passage. Être simpliste tout en donnant une impression de profondeur est devenu le mot d’ordre de l’entertainment contemporain. Il en résulte des blockbusters aux faux-airs de complexité narrative ou psychologique mais qui s’avèrent rapidement tout aussi médiocres d’un point de vue scénaristique que le film de Gareth Edwards. De lamentables purges comme le pitoyable dernier volet des X-Men ou l’affreux remake de Robocop à des films plus réussis comme Inception, Gravity ou Matrix (même combat pour les trois), ces films finissent par m’emmerder avec leurs réflexions à deux balles et les conflits on-ne-peut-plus caricaturaux qui soi-disant rongent leurs personnages. Tout ça sent le réchauffé, l’écriture à partir d’un modèle ayant fait ses preuves mais largement dépassé. Ce n’est pas que je sois contre la développement de personnages complexes dans le cinéma grand-public, bien au contraire, mais alors qu’on le fasse correctement plutôt que de se contenter de berner le public et livrer des films où il ne se passe absolument rien (je ne parle pas d’action mais bien de développement des personnages) pendant des plombes.

          Edwards, lui, a justement eu le courage de refuser ce jeu là, de nous dire qu’il ne va pas faire semblant de proposer des personnages complexes et de nous exposer leurs problèmes émotionnels, qu’il ne va pas s’emmerder à expliquer l’improbable pourquoi du comment (panneau dans lequel les gens sont toujours prêts à tomber à l’image de la toupille insignifiante d’Inception). Il nous le dit on ne peut plus clairement en se débarrassant rapidement de ses stars Binoche et Cranston. Et c’est tant mieux, je ne suis pas allé voir Godzilla pour voir un type et sa femme discuter pendant des plombes au téléphone. Les personnages, on s’en tape, ce n’est pas le propos. Et si c’est pour nous offrir une énième bouse qui va de relation stéréotypée en conflit vu mille fois, ce n’est pas la peine. D’un point de vue des images, du discours qu’il construit à partir d’elles, le film est on ne peut plus cohérent et s’attaque frontalement à son sujet. Je ne reviendrais pas dessus comme j’en ai déjà fait le tour dans l’article, mais c’est le seul blockbuster de ces dernières années à utiliser la mise en scène pour raconter un propos par le biais de l’image, ce qui me paraît quand même être l’essence du cinéma.

          Au passage le chauffeur de bus contourne le poteau et d’autres voitures en repartant, et le MUTO stocké dans la déchèterie semblait mort. Mais bon, ce sont des détails qui me dérangent beaucoup moins que lorsque des questions essentielles (qu’est-ce que je vais raconter, comment le mettre en scène?) ne figurent même pas au point de départ d’un projet de film et qu’un réalisateur se contente de poser sa caméra là où la composition du plan lui semble chiadé. J’en ai ras le cul du non-sens visuel et des blockbusters prétentieux, Godzilla m’a procuré autre chose d’à la fois plus divertissant et intelligent.

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