Cinéma | Nouvelles du front

The Homesman
un film de Tommy Lee Jones (2014)

The Homesman (Tommy Lee Jones, 2014)Dès Les trois enterrements de Melquiades Estrada (2005), son premier film réalisé pour le cinéma, Tommy Lee Jones surprenait par la prodigieuse sécheresse de sa mise en scène. Loin de tout didactisme, le cinéaste faisait preuve d’une volonté de confronter ses personnages aux plus sombres tournures de l’existence humaine. Près de dix ans se seront écoulées sans que l’expérience ne soit renouvelée, exception faite de The Sunset Limited, un téléfilm d’une toute autre nature produit par la HBO en 2011 et adapté d’un texte de Cormac McCarthy. Avec The Homesman, l’acteur-vétéran retrouve le grand écran et les grands espaces, troquant pour l’occasion les paysages rocailleux du Nouveau Mexique contre l’immensité des plaines et l’horizon monotone du Nebraska. Autant dire à mi-chemin de l’Ouest, l’État se situant on-ne-peut-plus au milieu du sol nord-américain. Un choix qui s’avérera loin d’être anodin, Jones livrant un western cruel, puisant l’inspiration chez les maîtres du classicisme pour se tourner résolument vers une modernité à la fois thématique et formelle.

The Homesman (Tommy Lee Jones, 2014)Qu’il s’agisse d’en distiller un mythe fondateur ou d’en déconstruire la légende, le western en tant que genre cinématographique et littéraire s’est attaché depuis ses balbutiements à nous offrir une relecture de la conquête de l’Ouest. Narrant le retour à la civilisation de trois femmes brisées, plutôt qu’une énième expédition vers l’ultime frontière, The Homesman investit donc cette riche tradition tout en en prenant l’insolent contre-pied. Sous les traits burinés d’Hilary Swank, Mary Bee Cuddy nous sera présentée telle une figure intransigeante, incarnation d’une pieuse austérité qui lui permet de réussir là où tant de ses semblables ont baissé les bras ; son histoire sera cependant marquée par un évident constat d’échec. Celui d’individus en premier lieu, à l’image de Theoline Belknapp, Arabella Sours et Gro Svendson, trois femmes ayant sombré dans la folie comme si ces terres qu’elles cultivaient leur avait transmis son aridité. L’échec d’une communauté ensuite, incapable de civiliser un territoire indomptable, allant jusqu’à abandonner toute prérogative morale face à l’impossible lutte pour la survie.

The Homesman (Tommy Lee Jones, 2014)Alors que ce beau monde embarque, sous l’œil protecteur et opportuniste du vaurien George Briggs, pour un long et dangereux voyage vers l’Iowa, leur étrange wagon aux faux airs de panier à salade ne peut que renvoyer à une vision distordue des thèmes de La Chevauchée fantastique (John Ford, 1939). Au travers des microcosmes que constituent leurs équipages respectifs, les deux films présentent en effet une société américaine profondément dysfonctionnelle. Mais là où le film de Ford tentait de rétablir l’équilibre grâce au personnage de Ringo Kid, montrant que l’idylle restait à la portée des Hommes, The Homesman ne cherche par l’intrusion d’un marginal au sein de la communauté qu’à mettre en lumière ses failles les plus subtiles et inhérentes. Au fil des kilomètres, l’immensité du territoire deviendra, à l’image de la geôle sur roues qui la traverse, davantage un symbole de confinement que de liberté. Mary Bee Cuddy apparaîtra dès lors moins comblée qu’elle ne le semblait à première vue, condamnée malgré une indéniable force de caractère à jouer le rôle naturel de la femme tant qu’elle ne se montrera pas capable d’enfin s’affranchir des carcans sociétaux.

The Homesman (Tommy Lee Jones, 2014)Sans attaches, Briggs paraît être le seul de ces individus capable de survivre malgré la gravité de sa situation. Sa rencontre avec Cuddy, la corde au cou et perché en un équilibre fragile sur son cheval, en est symptomatique. Seules la ruse et la faculté d’adaptation de l’Homme sont en mesure de défier la cruauté de l’Ouest. Mais si elles permettent de surmonter un climat impitoyable, n’en demeurent pas moins ces infranchissables distances qui en réduisent les habitants à une désespérante solitude. Chaque protagoniste de The Homesman ressemble ainsi en quelque sorte à ses paysages implacables, la mise en scène de Tommy Lee Jones rendant palpable la manière dont les conditions de vie influent sur leurs trajectoires physiques et morales à la manière d’un Anthony Mann (Winchester ’73, 1950) ou d’une Kelly Reichardt (La dernière piste, 2010). Mais le réalisateur ne se contente aucunement de souligner l’échec des plus faibles. Il révèle au contraire, tout au long de son récit, les sacrifices consentis dans le simple but de survivre. Exhumant le western pour lui faire subir un nouvel enterrement en règle, un motif dont on ne se lasse plus depuis les années 1970, The Homesman se fait alors méditation cinglante sur le caractère illusoire de toute liberté ; rappelant autant la nécessité de s’ériger en communauté solidaire pour ménager les plus démunis que la dépendance des Hommes à l’environnement dans lequel ils évoluent en tant qu’individus et que société.

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