L'Autre
un film de Robert Mulligan (1972)

L'Autre

Quel film particulièrement atroce ! Quel dernier acte à vous glacer le sang ! Surtout si, en amateur éclairé de cinoche d’horreur, vous avez pris la saine habitude de vous méfier des enfants à la bouille angélique comme de la peste. Tout commençait pourtant sous d’innocentes auspices, Niles et son jumeau Holland écoulant leurs vacances d’Été à batifoler dans les vastes champs aux alentours de la maison du clan Perry. On est en 1935, la crise économique devrait incommoder leur foyer. Le quotidien de cette famille élargie, en pleine attente d’un heureux événement, semble au contraire nimbé d’une lumière feutrée, la caméra de Mulligan s’attardant sur des paysages aux couleurs idylliques qu’accentuent les éclairages du chef opérateur Robert Surtees. Bucoliques à outrance, les douces mélodies de Jerry Goldsmith ne déparent en rien avec l’impression paisible que dégagent ces premiers instants glanés parmi les escapades des jeunes garçons. Une impression paradisiaque même, voire un peu trop, ce tableau ensoleillé ne pouvant refouler indéfiniment une réalité qui le poursuit à grandes enjambées pour y jeter son ombre et faire retentir ses dissonances.

L'Autre (Robert Mulligan, 1972)La première des fausses notes nous parviendra de cette chambre où la mère de Niles et Holland s’est cloîtrée et s’enlise au fil des jours dans le deuil. Depuis le décès de son mari, victime de la chute d’une lourde trappe un jour qu’il s’affairait dans le cellier, Madame Perry préfère s’isoler dans la lecture que de supporter la compagnie de ses semblables. Son retranchement n’est qu’un signe précurseur de la série de malheurs qui prendra bientôt pour cible la famille et son entourage. À commencer par Russell, cousin un peu bêta des deux jumeaux qui s’empalera sur une fourche en jouant dans la grange, suivi de l’acariâtre madame Rowe, cette voisine de toujours que l’on découvrira un matin foudroyée par une crise cardiaque. Comme vous l’aurez deviné, la mauvaise chute dans les escaliers qui laissera Madame Perry paralysée à vie n’aidera en rien à égayer l’ambiance. De malencontreux accidents ? La loi des séries se dit-on. Mais à mesure qu’approche la naissance du bébé l’on ne peut que craindre le pire. D’autant plus que chaque nouvelle victime semble, d’une manière ou d’une autre, avoir contrarié Holland, l’enfant colérique échappant au contrôle de son frère et rejetant les enseignements d’Ada, pieuse grand-mère qui veille avec bienveillance sur les deux garçons et leur éveil spirituel.

L'Autre (Robert Mulligan, 1972)Au fil du drame, la symphonie pastorale accomplissant sa lente mutation vers une terrifiante cacophonie, le mystère qui pèse sur la relation entre le passé traumatique de la famille et les incidents qu’en subissent aujourd’hui ses membres ne fera que s’intensifier. Même après avoir confronté spectateurs et personnages à la clef de son énigme, Robert Mulligan continuera d’adopter une ambiguïté plus proche des Innocents (Jack Clayton, 1961) ou de Cria Cuervos (Carlos Saura, 1976) que du fantastique tranché qui s’abattrait prochainement sur d’autres enfants dans L’Exorciste (William Friedkin, 1973) et La Malédiction (Richard Donner, 1976). En se situant entre le drame psychologique et le surnaturel, parant son gothique californien de saveurs européennes, le réalisateur explore une horreur diffuse, rare dans le cinéma d’épouvante américain, qui émane autant d’une réalité tangible que de l’imaginaire. Sous la surface limpide de l’image, Mulligan révèle ainsi la noirceur qui rongeait depuis le début cette histoire, la laissant s’écouler par les fissures qui lézardent l’esprit de ses protagonistes pour envahir l’ensemble du récit. Visages candides et paysages édéniques auront beau rester immuables, les impressions qui s’en dégagent ne retrouveront quant à elles jamais plus la béatitude des premiers instants ; de simples souvenirs désormais confinés à un paradis perdu où la vie n’avait encore prise sur des jeux auxquels on pouvait s’abandonner en tout innocence.

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