Robin Redbreast
un film de James MacTaggart (1970)
Publié par Marc Fairbrother le 15 mars 2015 dans La Crypte
Robin Redbreast, soit le rouge-gorge en anglais. Un oiseau tout ce qu’il y a de plus ordinaire, voire plus frêle que la moyenne, qui occupe pourtant une place notable dans l’esprit et le folklore britanniques. Allez savoir pourquoi… Essayer de comprendre les croyances populaires revient souvent à adopter la même position inconfortable que celle de Norah Palmer, l’héroïne égarée de ce brillant téléfilm réalisé par James MacTaggart pour le compte de la BBC. Femme aussi moderne que pouvait se le montrer la gente féminine autour de 1970, celle-ci choisira de quitter Londres et son travail suite à la difficile rupture qui vient de mettre terme à une relation de huit longues années. À l’abri de la cohue urbaine et des engagements professionnels, Norah espère profiter de son cottage isolé pour se changer les idées, respirer l’air vivifiant de la campagne puis regagner la capitale, l’esprit léger et son indépendance retrouvée. Elle va au contraire se frotter aux mœurs d’une population enracinée dans des traditions désuètes, leurs superstitions renvoyant à la face d’une société prétendument moderne son manque criant de spiritualité. Cette population est celle, inquiétante, d’un pittoresque village anglais.
Un village anglais donc, du Worcestershire plus précisément : ses habitants, son Histoire et surtout son rouge-gorge. Dès son arrivée dans ce patelin du côté d’Evesham, Norah sera accueillie par d’excentriques paysans dont les propos alambiqués et les déconcertantes indiscrétions éveilleront en elle une méfiance toute en condescendance amusée. Il y a d’abord Madame Vigo, la domestique qui se borne à contrôler le régime autant que l’emploi du temps de Norah par cette omniprésence autoritaire qui en fait une figure aussi oppressante que l’étaient les voisins de Mia Farrow dans Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968). Et que dire de Fisher, l’érudit du village qui distille à qui veut l’écouter des pépites de savoir sous forme d’obscures devinettes dans lesquelles Norah devine en filigrane des allusions à sa vie privée ? C’est enfin l’orphelin Edgar qui s’immiscera dans le récit, ou Rob comme tout le monde aime à l’appeler ; car dans cette région, où les habitudes perdurent, il y a toujours eu un môme pour se prénommer Robin.
D’ailleurs Norah devra bientôt faire appel aux services de ce beau jeune homme qui fait office de dératiseur du coin, sa vieille demeure se révélant envahie de souris. S’entichant de lui, elle va même se mettre en tête de l’attirer dans son lit, histoire de ne pas perdre la main ou peut-être simplement pour se rassurer quant à la durabilité de ses propres charmes. Leur relation s’avérera immédiatement désastreuse, Rob s’obstinant au cours d’un dîner romantique à noyer celle qu’il courtise sous sa connaissance pointue des codes militaires nazis. Un spécialiste, se dit-il, est toujours intéressant pour ses interlocuteurs, quel que soit son sujet de prédilection. En dépit de leur évidente incompatibilité, de ces différences culturelles qui les divisent, une série de coïncidences mènera inévitablement Norah et Rob jusqu’à la chambre à coucher. C’est à se demander si, en cette veille de fête de la récolte, le sort n’aurait pas bénéficié de bienveillantes interventions pour inciter les deux amants à sceller leur improbable union. D’autant plus que le diaphragme de Norah a malencontreusement disparu, laissant semer la graine avant de retrouver sa place dès le lendemain matin comme si rien ne s’était passé.
Coucheries, conspirations et avortement ; voici simplement certains des thèmes, encore controversés à l’époque, qu’aborde le scénario du dramaturge John Bowen. Proche du théâtre dans sa conception, cette production télévisuelle se montre certes limitée d’un point de vue cinématographique, la qualité d’écriture et la tension qui naît des situations dans lesquelles le récit plonge ses protagonistes compense largement ces quelques défaillances. Adoptant une mise en scène d’une sobriété exemplaire, MacTaggart ne se prive jamais d’accentuer, par ses mouvements de caméra menaçants et compositions anxiogènes, la paranoïa subtile que véhiculent nombre de détails du script et du décor. C’est au travers de ces détails, de discrets fragments de vérité et autres débris du passé, que Norah recomposera à la manière d’un archéologue le puzzle qu’est l’Histoire du village. Ce passé est la clef de l’énigme ; recèle à l’image des devinettes de Fisher toute la gravité de sa situation. Mais si l’horreur émane dans Robin Redbreast de coutumes ancestrales, le passé n’y émerge des entrailles de la terre que pour stigmatiser l’aveuglement de la société contemporaine et de ses représentants à l’égard de leurs propres travers.
Entre sa communauté autarcique, vivant selon ses seules règles, et la célébration de rites de fertilité à l’approche de la récolte annuelle, les comparaisons entre Robin Redbreast et The Wicker Man (Robin Hardy, 1973) sont aussi inévitables que pertinentes. Il existe néanmoins une différence majeure concernant les personnages d’intrus qui se placent au cœur de ces deux grands modèles de la folk horror britannique. Contrairement au pieux inspecteur qui se rendra à Summerisle pour enquêter sur la disparition de la jeune Rowan dans le film de Robin Hardy, Norah est une femme supposément libérée des carcans de la religion et de l’establishment ; un pur produit des mutations sociales des années 1960. Elle et ses amis londoniens incarnent une modernité et un raffinement aux antipodes des coutumes primitives des villageois. Mais à l’image de leurs réflexions, étouffées sous ces épaisses couches d’ironie qui visent à dissimuler leurs rares effusions de sentiments, leur rébellion contre l’archaïsme de l’ordre établi prend l’allure d’une simple posture. Au moment de regagner Londres, Norah se retourne vers ce curieux village pour y glaner d’ultimes réminiscences d’un monde païen, en proie à la sorcellerie. Son dernier regard horrifié se teinte désormais d’une nostalgie qui puise ses origines ailleurs que dans le calvaire qu’elle vient de subir, soulignant la terrible vacuité spirituelle du monde vers lequel Norah fait route ; une société où le cynisme désincarné aura enfin eu raison de toute forme de croyance et notion du sacré.
Robin Redbreast fut initialement tourné et diffusé en couleurs mais il n’en subsiste qu’une copie 16mm en noir et blanc, produite par la BBC à des fins d’archivage et de vente internationale, dont s’est servie la BFI pour son édition vidéo du film et sont tirées les images illustrant cet article.