Le Plombier
un film de Peter Weir (1979)
Publié par Marc Fairbrother le 16 janvier 2015 dans La Crypte
Anthropologue studieuse, Jill passe la majeure partie de son temps cloîtrée chez elle à rédiger sa thèse alors que son mari, l’ambitieux Dr. Brian Cowper, mène ses propres recherches à l’université d’Adélaïde. Un matin, peu après le départ de son compagnon, Jill sera interrompue dans son travail par l’arrivée de Max, un rustre plombier envoyé par le campus pour s’assurer du bon fonctionnement des installations de la cité universitaire où réside le couple. Après une brève inspection des lieux, Max annoncera à Jill que d’importants travaux s’imposent pour éviter que l’état catastrophique de la tuyauterie n’entraîne de graves dégâts sur cette propriété dont lui incombe la responsabilité. Dès le lendemain, il s’évertuera à transformer la salle de bain des Cowper en invivable chantier, seul terrain où il peut prendre le dessus face à la présomptueuse intellectuelle qui l’accueille chez elle. À mesure que Max lui dévoile son passé, entre l’évocation d’une enfance que l’on devine misérable, d’un prétendu séjour en prison et d’une haine pathologique envers la bourgeoisie, la peur s’immiscera dans le quotidien de la jeune femme dont le cauchemar ne fera qu’empirer avec l’avancement des travaux.
Sous la forme d’un étouffant huis-clos, la caméra n’échappant que rarement au confinement du deux-pièces qu’habitent Jill et Brian, Peter Weir signait avec Le Plombier un film dont la paranoïa ambiante exacerbe la violence sous-jacente aux relations qu’entretiennent entre eux les protagonistes. Au travers de la vie du couple, déboussolée par l’irruption de Max dans leur quotidien sans histoires, c’est au tissu social des civilisations modernes que s’intéresse le réalisateur australien. Le plombier ne fera pas grand chose pour se rendre insupportable. C’est au contraire sa simple présence, qu’accompagne l’émergence de frayeurs irrationnelles et d’une sexualité refoulée, qui dérange ces petits bourgeois tel un fardeau dont ils ne pourraient soulager leur conscience. Confronté à son irrespect des convenances, à son mépris total des règles, ce couple d’experts en comportements humains ne saura quelle attitude adopter pour se débarrasser de lui ou, du moins, le remettre à sa place. Choisissant d’ignorer ce désagrément qu’ils s’imaginent temporaire, Jill et Brian s’enferment dans un aveuglement qui ne peut qu’envenimer à terme le conflit qui les oppose à Max. La figure du plombier catalyse ainsi ces difficultés du quotidien, largement oubliées par ce qui n’en ont jamais souffert, pour rendre perceptible au sein du foyer des Cowper l’égotisme des classes moyennes, leur condescendance envers tout problème ne touchant qu’une plèbe jugée ignare et le spectre puant d’une xénophobie ordinaire.
À la manière de The Servant (Joseph Losey, 1963) ou de Répulsion (Roman Polanski, 1965), Peter Weir convoque, dans ces décors exigus où se trame Le Plombier, autant la lutte des classes qu’une sexualité cherchant à se défaire des carcans de la bienséance pour mieux s’exposer au grand jour. Dans le milieu privilégié où évolue le couple Cowper, un environnement où l’on ne côtoie que de semblables nantis souffrant tous d’identiques problèmes de riches, ces sujets ne s’abordent en aucun cas. Le rapport autrement plus direct – honnête, diront certains – entre Max et ceux qui se trouvent sur son chemin servira de révélateur à Jill d’une hypocrisie dans laquelle elle a toujours baigné sans en prendre conscience. À commencer par l’image du couple parfait qu’elle s’imaginait former avec son mari. Livrée à elle-même face au plombier, alors que Brian préfère s’occuper d’une carrière balbutiante et de ses imminents collègues, elle devra trouver ses propres armes pour lutter contre cette menace défiant toute forme de logique qu’elle percevait jusqu’alors en ce monde. Mais ce dévergondé à la vulgarité extravagante qu’elle va tenter d’écraser comme un ignoble cafard mérite-t-il réellement le sort qui l’attend ? Si Max, en tant que marginal séditieux et imprévisible, se laissera inévitablement piéger par les subterfuges d’individus mieux éduqués et plus habiles que lui, sa défaite n’en reste pas moins celle du working class hero succombant à la violence invisible de l’ensemble de la société ; celle se traduisant en préjugés, en un anxiogène climat de haine nourri de désirs et de jalousies et en d’alarmantes dérives inégalitaires.