Cinéma | Nouvelles du front

Koji Wakamatsu
1936-2012

Koji WakamatsuRenversé par un taxi à Shinjuku le 12 octobre, le réalisateur Koji Wakamatsu, dont la filmographie s’étend sur près d’un demi-siècle et compte plus de 100 titres, est décédé de ses blessures le 17 octobre peu après 23h. Auteur de films majeurs tels Va va vierge pour la deuxième fois, Quand l’embryon part braconner et Running in Madness, Dying in Love, il s’était d’abord illustré dans le pinku eiga ; le cinéma érotique japonais des années 1960, et notamment dans les productions à petit budget ; le film à trois millions de yens. Dans ces films populaires, animé par l’énergie de la révolte, le cinéaste disséquait ce qu’il percevait comme le mal-être de la société japonaise contemporaine. Entre une sexualité morbide, la violence insensée et l’engagement politique, son œuvre se situe d’entrée sous le sceau de la radicalité, tant dans le propos que dans la forme.

La reconnaissance internationale arrive dès 1965 et la présentation des Secrets derrière le mur à Berlin, mais au Japon le succès du film est controversé et lui vaudra à jamais une position de marginal. Qu’importe ; les tournages de Wakamatsu se déroulent sur le toit de son immeuble, coûtent trois fois rien et sont bouclés en quelques jours. Les films s’enchaînent au rythme de trois ou quatre par an et s’avèrent par ailleurs rentables. Cette rentabilité conjuguée à la notoriété lui permettra de mettre en chantier, au cours de la décennie suivante, des productions ambitieuses dont L’Empire des sens de son ami Nagisa Oshima et Armée rouge – FPLP : déclaration de guerre mondiale ; un documentaire sur le front de libération palestinien et un film de propagande pour la révolution mondiale dont il se fera une mission d’organiser des projections dans tout le Japon (lire à ce sujet son très beau texte « La Palestine et moi »).

Running in Madness, Dying in Love - Koji Wakamatsu

Revenu sur les devants de la scène avec United Red Army en 2007 (primé à Berlin), une rétrospective lui est consacrée par la Cinémathèque française fin 2010 accompagnée de la réédition de certains de ses films chez Blaq Out et la publication chez IMHO d’un recueil de textes supervisé par Jean-Baptiste Thoret. Ces dernières années, Koji Wakamatsu avait signé des films en apparence plus apaisés, mais dont la prise de distance ne parvenait à dissimuler entièrement le caractère très personnel. Ressassant des thèmes déjà abordés dans les années 1960, Le Soldat Dieu (encore primé à Berlin) et 11.25 : The Day He Chose His Own Fate (présenté cette année à l’Etrange festival) travaillent, dans la continuité de U.R.A., les conséquences de la défaite de 1945, de l’occupation américaine et des violentes mutations que subit à cette époque la société japonaise.

« J’aime les êtres humains. J’aime la bonté des hommes. Je ne parle pas de la gentillesse, de l’obligeance née des bonnes mœurs. En termes de cinéma, il s’agit de mettre les choses à distance, de les observer en plan large. Tout le monde rigole quand je tiens de tels propos, mais je trouve vraiment que la société actuelle a perdu cette bonté-là. Tout le monde ne pense qu’au fric. Tous ces crimes commis par des mineurs proviennent en fait de la corruption et de la dépravation des adultes, qui ont fini par contaminer les jeunes et exploser en eux. De quel droit reprochent-ils aux jeunes leurs crimes ? »

« Je me souviens » de Koji Wakamatsu, dans Kahoku Shinpo, éditions du 10, 17, 24, 31 mai et 7 juin 2001

Quand l'embryon part braconner - Koji Wakamatsu

Koji Wakamatsu n’était pas un réalisateur engagé au sens partisan du terme, mais jusqu’au bout ses films resteront incontestablement politisés et, par leur humanisme, sonneront la révolte contre les conditions de vie d’hommes et femmes évoluant au sein d’une société corrompue. Le cinéma japonais a perdu aujourd’hui l’un de ses derniers enfants terribles ; le monde a perdu l’une de ses voix les plus révoltées depuis que celle de Pasolini gagnait le silence en 1975. De cette révolte salvatrice est née une œuvre colossale, un ensemble de films plus pertinents que jamais, qu’il s’agit aujourd’hui de faire découvrir à des citoyens tenant à s’indigner sans bien saisir le poids même du mot.

Une sélection importante des films de Koji Wakamatsu est disponible en DVD aux éditions Blaq Out

Le livre Koji Wakamatsu : Cinéaste de la révolte, dont sont tirés les textes évoqués ci-dessus, est disponible aux éditions IMHO

Interview de Koji Wakamatsu, réalisée par le webzine 1kult à l’occasion de la rétrospective que lui a consacrée la Cinémathèque française en 2010

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