Déviances | B.D.

Nécron
un fumetti de Magnus (1981-1985)

Nécron - MagnusQu’on se le dise: la bande dessinée érotique gagne à être connue. Et ça tombe plutôt bien puisqu’elle l’est de plus en plus. Depuis quelques années on assiste en librairies à un retour en force des classiques de la franco-belge coquine à grand coup de rééditions augmentées, d’intégrales de luxe et d’histoires inédites. Si vous jetez un coup d’œil attentif aux présentoirs de votre Fnac, vous vous rendrez même compte qu’ils ont trouvé de la place sur les podiums de nouveautés, surtout grâce aux nombreuses ressorties de classiques du genre. Manara, Frollo, Magnus, Crepax, ils y sont tous. Même les petits auteurs indés s’y mettent, tel que le toujours surprenant Bastien Vives (plus connu pour son très sensible Polina) ou la grande Aude Picault. Signe d’une évolution des mentalités ou mode à la Fifty Shade of Grey ? Quoiqu’il en soit, parce que les doigts et les langues se délient (pour tourner les pages bien sûr), parce qu’on commence à se rendre compte que le sexe fait partie de la vie au même titre que les migraines du petit ou le dernier épisode de Top Chef (mais en mieux quand même), les auteurs de BD commencent à se rendre compte qu’il est possible d’écrire un scénario dessus. On peut parfois même en profiter pour faire passer un message. Dingue ! Bon, ce n’est pas le cas de la BD du jour, Nécron, mais vous verrez, il y a des choses à dire sur la BD érotique à message. On en reparlera.

Passons au cas de Nécron, signé par le grand Magnus. Que les amateurs de Warhammeur 40000 se calment tout de suite, nos grands squelettes robotiques du même nom n’ont rien à voir là-dedans. Nécron n’est pas à proprement parler une bande dessinée franco-belge puisqu’elle est d’abord italienne. C’est donc ce que l’on appelle un fumetti, mais c’est en réalité une bête question de terminologie, un peu comme la différence entre le manga, les comics et la BD. J’invite les radicaux du vocabulaire à faire leurs propres recherches sur la naissance et les évolutions de cette appellation.

Nécron - MagnusBref. Ce fumetti extrêmement tordant ne tient sa classification d’érotique que par ses scènes explicites, sa nudité faciale, ses pénétrations et ses rapports buccaux de diverses natures. Il s’agit plus ici d’un retour aux sources cinématographiques et d’un détournement de ses codes puisque l’auteur reprend clairement le mythe de Frankenstein et de sa créature à la sauce maîtresse sadique. On suit ici l’histoire de la scientifique Frieda Boher qui travaille avec ses charmants collègues de labo sur la conservation des tissus humains dans le but purement altruiste d’aider à l’amélioration de greffe d’organes. Heureusement pour la distraction du lecteur, le but du docteur Boher est tout autre. Cette mystérieuse scientifique résiste aux avances de tous ses collègues, au grand dam de ces derniers qui tentent toutes les ruses  de sioux pour faire fondre ce glaçon si bandant. Mais il faut dire que le docteur Boher a une bonne excuse : c’est une nécrophile lubrique qui ne peut jouir qu’au contact raide et froid des morts. Volant les cadavres de l’institut, cette Frankenstein femelle se confectionne joyeusement son amant cadavérique, Nécron, à qui elle donnera la vie. Et quelle vie ! Car ce pauvre Nécron, avec son cerveau de dessinateur de Bd (authentique!) s’avère être un romantique benêt en demande constante d’affection et de sexe de la part de sa dominatrice maîtresse qui ne voit en lui qu’un objet de pouvoir et de plaisir. Devant ce franc succès, Frieda décide de se confectionner un autre monstre, plus docile et plus intelligent, mais les choses s’enveniment et la fureur de Nécron éclate lorsque Frieda porte son choix sur les attributs virils d’un de ses collègues pour sa créature. La belle se fait passer pour morte après l’incendie de sa maison et se voit contrainte de s’enfuir avec ce grand nigaud obsédé par la baise et la chair fraîche… C’est le début d’une longue cavalcade parsemée d’orgies, de massacres, de festins et de coups de fouet qui se poursuivront sur sept tomes de l’Islande à l’Afrique, en passant par les fonds sous-marins et la moiteur de la jungle.

Sorti en 1981 en couleur en Italie, la France n’a eu le droit à sa part du monstre que bien des années plus tard. Si la série a existé en France un certain temps, ce sont les intégrales de Cornelius sorties de 2006 à 2007 qui lui ont donné ses lettres de noblesse en permettant à chacun de retrouver les aventures de Frieda et Nécron dans un sobre mais nécessaire noir et blanc qui remet en valeur la force brute du trait de Magnus. Nous avons ici à faire à un classique incontournable du fumetti, à la fois tout à fait représentatif des thématiques du genre (le détournement humoristique des classiques de monstres parsemé de nénettes peu frileuses) et d’une qualité remarquable, aussi bien au scénario qu’aux dialogues ou au dessin.

Nécron - MagnusLe duo du professeur Boher et de Nécron est terriblement attachant et fonctionne à merveille. La délicieuse Frieda représente exactement le pendant féminin des méchants stéréotypés de récit d’aventure : elle est cruelle, dominatrice, égoïste, perverse, mais surtout assoiffée de pouvoir et son but ultime réside dans la domination complète et totale du monde, rien que ça. Elle commence par appliquer cette domination sur le pauvre Nécron qu’elle doit sans cesse rappeler à l’ordre par des liens, des coups de fouet et des frustrations sexuelles. Il faut aussi dire aussi que le monstre est un peu limité et  s’il cherche du mieux qu’il peut à plaire à sa maîtresse, son attention se trouve souvent détournée par une jolie jeune fille, un bon cadavre bien juteux ou un témoin à éliminer. Le lecteur navigue donc entre les gaffes de Nécron, les plans machiavéliques de sa maîtresses et les personnages secondaires tout à fait originaux bien que  d’une durée de vie forte courte.

Car la force du récit réside aussi dans ces personnages croisés au fil de l’aventure. Si tous sont effrayés par le repoussant physique de Nécron et par la cruauté de Frieda, les bourgeois moyens et les personnalités lambda finissent vite dévorées, empalées, le crâne fracassé et autres petites gourmandises, tandis que les personnages aux profils anormaux sont plus développés et donnent du fil à retordre à nos deux comparses. Dans le monde nocturne de Magnus, seuls les freaks peuvent se répondre entre eux et dans ces combats titanesques de ces géants des excès,  les petites personnalités tièdes ne valent même pas qu’on s’y arrête. Car en effet, si les deux personnages principaux sont des monstres corrompus physiquement ou mentalement, la plupart des autres victimes qui ont le malheur de croiser leur chemin ne valent pas mieux : scientifiques lubriques, noblesse dépravée, capitaine obsédé, petits bourgeois égoïstes… tous les types de canailles sont au rendez-vous pour un illustrer un catalogue des vices, mais au final tous finissent entre les mains affamées de Necron, comme punis pour leurs péchés. Ici, on soigne le mal par le mâle !

Nécron - MagnusEt pour ne rien gâcher, on retrouve dans ces histoires la joie de dialogues rappelant ceux des Tijuana Bibles, ces petits fascicules mexicains qui détournent les grands classiques du comics en faisant copuler Mickey avec Minnie ou en montrant Olive tailler à Popeye un genre de pipe bien particulier. Il faut donc remercier le traducteur de cette édition qui a su garder toute la saveur des petites phrases qui font tout le sel de cette BD. Ce mélange horifico-rigolo de Vixen et des Chasses du comte Zaroff saura ravir les vrais amateurs de série Z désireux à la fois de seins, de sang, de poil et de rire. Ce joyeux pandémonium où se mêlent cannibalisme, sexe homosexuel, bondage, nécrophilie, meurtre, dépravation est pour ma part devenu un classique incontournable de ma bibliothèque déviante.

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