Cinéma | Nouvelles du front

Paperhouse
un film de Bernard Rose (1988)

Paperhouse - Bernard RoseDe Keaton à Tarkovski, en passant par Bergman, Buñuel, Fellini et tant d’autres, nombre des plus grands réalisateurs ont exploité au travers de leurs œuvres l’onirisme comme qualité inhérente à l’image cinématographique. Plus que l’emploi de simples séquences rêvées, ils concevaient leurs films intégralement selon la logique des songes pour s’y déplacer en toute liberté. Effaçant la frontière entre le monde réel et celui du rêve, Paperhouse s’inscrit dans cette lignée de films et met en scène une grande idée de cinéma : faire pénétrer ses personnages et spectateurs dans l’univers de la représentation par le seul biais de l’imaginaire. Entre La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955) et L’Esprit de la ruche (Victor Erice, 1973), à la lisière de l’horreur fantastique et du conte pour enfants, Bernard Rose – le futur réalisateur de Candyman, une œuvre aux thèmes étrangement voisins – signait avec son premier long-métrage un film inclassable dont la beauté et l’impact visuel restent toujours aussi envoûtants.

Paperhouse - Bernard RoseTant le film de Bernard Rose lorgne du côté d’Erice ou Saura (Cria Cuervos, 1976) il n’est guère étonnant que, comme dans leurs deux incontournables chefs d’œuvres consacrés à l’enfance, l’héroïne rêveuse et solitaire de Paperhouse se prénomme Anna. Le jour de son douzième anniversaire, alors qu’elle s’impatiente à l’idée des premières leçons d’équitation qui lui ont été promises pour l’occasion, tout ira de travers pour la jeune fille. Souffrant d’une forte angine, Anna sera ramenée à la maison et forcée au repos mais, à chaque fois qu’elle ferme les yeux, elle se retrouvera propulsée au seuil de la maison isolée qu’elle avait esquissé dans son cahier d’école. Consignée au lit, Anna peuplera cette maison de ses fantasmes et frustrations pour échapper à l’ennui. Alors cependant que les liens entre mondes réel et imaginaire se précisent, que l’un contamine l’autre et vice-versa, le rêve échappe à son contrôle pour virer inexorablement au cauchemar.

Paperhouse - Bernard RoseAdapté d’un roman pour jeunes lecteurs (Marianne Dreams de Catherine Storr), ce qui frappe d’emblée chez Paperhouse est cette impressionnante faculté à se déplacer entre les genres. Commençant sous les auspices du conte pour basculer d’abord dans l’horreur puis le drame, Bernard Rose ne cherche pas plus à cibler un public qu’à expliquer son récit et reste fondamentalement intègre à ses idées. Tout en traitant avec honnêteté des thèmes de la solitude et du deuil, le film reste ouvert à une interprétation très personnelle de ses éléments narratifs et cette approche sincère appelle le spectateur à s’investir émotionnellement dans l’histoire et les fantaisies d’Anna. Malgré son faible budget, le film bénéficie d’une fluidité de mise en scène et d’une qualité visuelle somptueuse qui compensent largement le jeu approximatif de certains acteurs. Sans donc atteindre la perfection de ses illustres modèles, Paperhouse reste dans ses meilleurs moments une œuvre profondément fascinante dont de nombreuses images et scènes s’éterniseront dans l’esprit du spectateur.

Paperhouse de Bernard Rose est disponible chez Metropolitan Filmexport dans une édition Blu-ray qui offre une excellente qualité d’image

3 personnes ont commenté l'article

    1. Oui il vient de sortir en DVD et Blu-ray et devrait être disponible dans tout bon magasin. Sur un thème proche, c’est quand même plus urgent de voir Cria Cuervos et L’Esprit de la ruche (tous deux dispos chez Carlotta, les prémisses du fantastique espagnol tel qu’on le connaît) et pour le fantastique anglais Les Innocents et The Wicker Man sont incontournables (mais là ce sera plus difficile, on sait jamais si tu tombes dessus d’occasion).

  1. Déjà vu les deux derniers (bien aimé « Les innocents » – même si le livre m’avait beaucoup plus impressionnée et glacée – et pas marquée par « Wicker Man » – oui, je sais, mais bon). J’ai tenté de voir « Cria Cuervos » mais le DVD ne fonctionnait pas. Connais point « L’esprit de la ruche », me renseignerai.

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