Cinéma | Nouvelles du front

Post Tenebras Lux
un film de Carlos Reygadas (2012)

Post Tenebras Lux - Carlos ReygadasDéroutant… C’est bien ce mot qui, après un long moment de réflexion, semble au mieux décrire Post Tenebras Lux, le nouveau film de Carlos Reygadas. Abordables de mille manières, les images d’une beauté souvent terrassante qui le composent se refusent obstinément à toute interprétation définitive. Les idées qui flirtent ensemble dans ce bouillonnant magma de créativité sont si disparates et éphémères qu’elles échappent irrémédiablement au désir de les formuler pour mieux les comprendre. Insolent, énervant et génial, le réalisateur mexicain défie la patience et les habitudes du spectateur et livre une œuvre qui exhibe les spécificités du cinéma, ses qualités uniques et inimitables par toute autre forme d’art ou d’expression. L’évoquer par de simples mots, ou mieux encore un discours critique, ne sera donc pas chose facile. Il le faut pourtant car il y a beaucoup à en dire.

Post Tenebras Lux - Carlos ReygadasLe film s’ouvre, entre chien et loup, sur une fillette – celle du réalisateur – esseulée sur un terrain de foot à l’abandon. Déambulant au milieu du bétail et des chiens, sa silhouette se découpe en premier plan d’un ciel rapidement noyé sous les couleurs chatoyantes du crépuscule. Le tonnerre gronde, la foudre éclaire le ciel orageux et Rut nomme les animaux qui l’entourent et la dominent. Dans la deuxième séquence, Eleazar – le fils de Reygadas – voit un diable incandescent pénétrer, ses outils à la main, dans une chambre où dort paisiblement sa mère. Ces deux scènes s’opposent en tout : nous passons de l’extérieur à l’intérieur, la beauté naturelle du monde s’efface au profit de la laideur d’images factices, la caméra délaisse ses mouvements organiques pour des déplacements et prises de vue d’une maîtrise totale, froide et clinique.

Post Tenebras Lux - Carlos ReygadasDe tout son long, Post Tenebras Lux procédera de cette façon, enchaînant sans prévenir des scènes qui n’entretiennent ensemble aucun lien direct, passant d’un personnage et d’un temps à l’autre pour laisser enfin apparaître le mal qui œuvre en chacun de nous. Un homme s’auto-décapitera, un autre battra son chien, une pluie tropicale muera la boue en rivière écarlate et un hammam deviendra le sulfureux théâtre de gang-bangs. Menaçantes, ces images nous saisissent et s’entrecoupent d’instants de tendresse : un réveil en famille, un séjour à la plage, un réveillon. Les motifs se répètent, s’altèrent et se répondent. Tour à tour, la chute de Juan, le père des deux enfants, et celle de son ami « Le Sept », un surnom qu’il doit aux péchés capitaux tous présents dans le film, se placeront au centre de ce récit chaotique. Des destins croisés de ces deux hommes, situés aux antipodes d’une société divisée par l’argent et l’appartenance ethnique, émergent toutes les histoires de leurs pays.

Post Tenebras Lux - Carlos ReygadasDans la veine du Miroir d’Andreï Tarkovski, où s’enchevêtraient les souvenirs d’enfance du réalisateur et de son scénariste, Post Tenebras Lux est une œuvre autobiographique, à la fois éminemment personnelle et ouverte ; ancrée autant dans la réalité que dans le fantasme. Reygadas s’offre à nous, expose sans pudeur ses obsessions, se montre aussi égocentrique que généreux. Rendant illisibles les bords de l’image, il concentre le regard au centre du cadre, comme vu de l’autre bout d’un tunnel, tout en mettant l’accent sur la périphérie. Il souligne ainsi la vanité de l’exercice auquel il s’adonne mais aussi cette omniprésente beauté que l’Homme peine à voir autour de lui. Articulé autour de visions d’un quotidien serein, violent, morose et festif, Post Tenebras Lux appelle à l’unité et à l’amour, sème le doute et s’en nourrit, et embrasse la myriade des possibles entre le bonheur et la damnation.

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