Place aux jeunes
un film de Leo McCarey (1937)

Place aux jeunes

Si le nom de Leo McCarey ne vous évoque que La Soupe au canard, je vous engage à découvrir au plus vite ce chef d’œuvre plus proche des comédies acerbes de Billy Wilder, et de l’habileté caractéristique de l’immense cinéaste hollywoodien à retourner les situations, que des jubilatoires tartes à la crème du burlesque. D’une prodigieuse justesse d’écriture, Place aux jeunes porte un regard implacable sur l’ingratitude qui ne cesse de miner les relations entre ses personnages, stigmatisant l’hypocrisie qui se trame derrière une bien-séance d’apparat pour dévoiler sous ses faux-airs de mélodrame vieillot une nouvelle démonstration de l’effarante lucidité du classicisme hollywoodien.

Apprenant que la banque s’apprête à saisir la maison de leurs parents, les enfants de la famille Cooper n’auront d’autre choix que de prendre en charge ces derniers le temps que leur père retrouve du travail. Pour mieux répartir le fardeau qu’ils sont conscients de représenter aux yeux de leur progéniture, le couple de vieillards acceptera de vivre séparés pour la première fois depuis les débuts de leur mariage. La cohabitation entre les différentes générations, sans même parler des membres de la famille élargie, s’avérera cependant plus longue que prévue ; plus invivable aussi. Alors qu’il semble improbable que leurs parents soient un jour réunis sous le même toit, la gêne des enfants vis-à-vis de ces grabataires qu’ils hébergent par devoir davantage que par un quelconque amour filial se muera brutalement en une leçon d’humilité, une cinglante gifle que même le spectateur ne pourra éviter de prendre de plein fouet.

Rarement aura-t-on vu des personnages se décomposer de manière aussi violente que sous ces coups de boutoir que peuvent constituer, dans Place aux jeunes, des paroles d’une apparence pourtant naïve. De même, hormis dans le cinéma d’Ozu, peu de films me viennent à l’esprit qui s’attaquent avec une telle honnêteté au thème du vieillissement et du comportement à adopter vis-à-vis de ses aînés. Malgré sa virulente charge critique, Place aux jeunes demeure néanmoins plus que tout remarquable pour l’empathie suscitée à l’égard de ses personnages. Sans jamais tomber dans le cynisme ou la raillerie, McCarey souligne le drame d’approcher ensemble la mort tout en se voyant délaisser par un monde pour lequel on n’a plus aucune utilité. Préférant ainsi à toute forme de dérision un traitement sincère de ses thèmes et personnages, Place aux jeunes se hisse au rang de ces films classiques qui, malgré le poids des ans, n’ont pas pris une seule ride ; ces modèles d’écriture dramatique qui, au lieu de perdre de leur mordant à mesure que ses contemporains se flétrissent à vue d’œil, nous stupéfient encore par la cruauté d’un constat sur nos mœurs défaillantes que peu d’œuvres oseraient aujourd’hui relever.

2 personnes ont commenté l'article

  1. Une des plus grosse claque que j’ai pu recevoir ces derniers temps… parce que tu parles de la cruauté de la vie et de la justesse des personnages, mais il faut pas non plus oublier la tendresse que le réal a pour eux ! Et c’est dans cette tendresse que réside le plus gros de l’émotion: c’est parce Place aux jeunes est avant tout un film tendre et joli comme tout qu’il t’en met autant plein la gueule. Comment peut-on aborder un propos aussi dur et cruel d’une aussi jolie manière ? On en ressort démoli mais béat.

    1. Oui c’est tendre et pourtant ça ne tombe jamais dans la niaiserie. C’est une des forces du cinéma classique, arriver à construire des personnages attachants et une histoire toujours engageante tout en explorant des idées qui vont bien au-delà des premières apparences. C’est presque comme si, à l’époque, quand on tournait un film c’était pour dire quelque chose…

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