It Follows
un film de David Robert Mitchell (2014)
Publié par Marc Fairbrother le 22 juillet 2014 dans Nouvelles du front
On n’associe pas, en règle générale, le festival de Cannes au cinéma de genre. Pourtant, une fois n’est pas coutume, en marge des bobines auteurisantes, des films au prestige égaré et autres divas auréolées d’on ne sait plus trop quelle palme ou robe de designer, c’est bien une péloche horrifique qui aura fait le buzz sur la croisette en 2014. Et ce n’est pas à Massacre à la tronçonneuse (1974), film séminal de Tobe Hooper déjà présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1975 et dont une version restaurée était projetée cette année, que je me réfère. Tant pis pour le jeu de mots… Deuxième long-métrage de David Robert Mitchell, dont The Myth of the American Sleepover (2010) vient d’avoir droit en France à une sortie directement en vidéo*, It Follows s’est attiré d’élogieuses comparaisons avec ni plus ni moins que le cinéma de John Carpenter et Jacques Tourneur. Je vous laisse donc imaginer avec quelle trépidation j’abordais la bête !
Dès ces lancinants travellings qui ouvrent le film en explorant une banlieue que Michael Myers aurait lui-même pu confondre avec son Haddonfield natal, on comprend aisément en quoi le film peut rappeler Halloween (1978). Si le rapprochement avec La Féline (1942) deviendra lui aussi évident au fil des scènes d’angoisse, la terreur émanant toujours des recoins les plus insoupçonnés du cadre, ces références n’en restaient pas moins lourdes à assumer, voire quelque peu réductrices. Mitchell ne se contente pas ici de singer ses maîtres, ni même de leur rendre hommage. De leurs œuvres respectives il tire au contraire les enseignements qui lui permettent de concrétiser sa propre vision d’une horreur insidieuse et contemporaine. Ainsi, en dépit d’un récit alambiqué à base de malédiction qui se refile avec la même ferveur que la dernière MST à la mode, force est de constater que le jeune réalisateur maîtrise aussi bien son sujet que la gestion des images.
Bien que les personnages manquent de relief par rapport aux adolescents qu’imaginèrent autrefois John Carpenter et Debra Hill, le spectateur ne se détachera qu’avec difficulté de leur tourmente tant elle se joue dans l’économie narrative et le rythme étouffant que celle-ci imprègne au récit. Ne livrant ses plans les plus marquants qu’en de rares occasions, David Robert Mitchell laisse peu à peu l’horreur, imperceptible mais omniprésente, envahir la moindre parcelle de l’écran pour mieux investir l’espace filmique qui existe entre chaque plan et l’imagination du spectateur. It Follows nous tient en haleine par cette instauration d’une tension permanente entre le visible et l’aveuglement des personnages face au péril qui les guette. Inexorable, la menace se précise autour d’eux comme du spectateur pour souligner une fragilité commune ; cette impuissance du regard à distinguer parmi les apparences la réalité telle qu’on se l’imagine de celle, cruelle, que nous subissons de la plus brutale des manières.
*Affublé du risible sous-titre de La Légende des soirées pyjamas, gageons que le film, sorti chez Metropolitan Films, aura du mal à remporter un franc succès.