Cinéma | Nouvelles du front
Détective Dee II : La Légende du dragon des mers (Di renjie: Shen du long wang)
un film de Tsui Hark (2013)
Si la notion même de prequel vous hérisse le poil, évoquant le souvenir d’innombrables remontées aux sources moroses d’une tension psychologique de pacotille, soyez rassurés. Avec ce deuxième film consacré aux périples du détective Dee, Tsui Hark ne renoue avec la jeunesse de son protagoniste que pour lui insuffler une vigueur et un dynamisme retrouvés, corrigeant le tir d’un premier épisode en demi-teinte. Nulle enfance tourmentée ici mais une aventure de haute volée, où mysticisme et science antiques disputent la vedette aux ahurissantes chorégraphies martiales dont seuls Hark et ses protégés de la Film Workshop ont le secret. Entre les voltiges incessantes, les duels à l’arme blanche toujours aussi inventifs et une poignée de séquences aux effets spéciaux dignes des plus récentes débauches hollywoodiennes, le vétéran hongkongais signe un film de divertissement éblouissant ; une œuvre à mi chemin du wu xia pian, de l’aventure et du fantastique, dont on appréciera autant le rythme effréné que la richesse visuelle et l’ambition stylistique.
Encadré par deux scènes de destruction maritime spectaculaires, justifiant d’un sous-titre qu’on aurait sinon tendance à oublier, le récit alambiqué nous plonge au cœur d’une opulente Chine médiévale en guerre contre son voisin et traditionnel rival japonais. Une fois n’est pas coutume, un complot diabolique se trame du côté de l’Empire du milieu, visant non seulement à faire chuter le couple impérial mais bel et bien l’ensemble de sa décadente cour. Enquêtant sur les tentatives répétées d’enlèvement d’une ravissante courtisane, le détective Dee, fraîchement débarqué au Temple suprême, révélera au grand jour les rouages d’une perfide machination. Pour bousculer les habitudes d’une hiérarchie constituée de bureaucrates et débusquer parmi eux les traîtres, il devra néanmoins faire preuve d’autant de dextérité que de ruse. La multitude de fils narratifs se rejoindront dès lors au rythme des déductions de ce limier calqué sur les modèles de Sherlock Holmes ou encore d’Auguste Dupin pour tisser une fragile mais scintillante étoffe, dont guerriers, savants et autres amants damnés auront à déchiffrer dans les arabesques les signes du danger imminent qui les guette.
En dépit de quelques inévitables kitscheries, dont on ne saurait lui tenir rigueur, Tsui Hark n’a rien perdu de son sens inné du cadre et nous régale de compositions grouillant de mille détails. Des combats virevoltants patentés dans les décors les plus exigus aux affrontements dantesques sur l’immensité de l’océan, jamais le réalisateur ne nous égare par le dynamise d’une mise en scène dont le moindre choix, du montage à l’utilisation de la 3D, révèle la densité formelle de chaque plan. Ne réservant nullement ce traitement aux scènes d’action, Hark sature même les séquences les plus anodines de délires chromatiques et de mouvements de caméra virtuoses pour étoffer la dimension épique de son récit. À cela s’ajoutent un dragon au design aussi original que réussi, des parasites malveillants en tous genres et quelques lampées d’urine d’eunuque pour faire de Détective Dee II : La Légende du dragon des mers un film d’aventure dépaysant et jouissif qui, s’il ne rivalise pas avec les meilleures réalisations de Hark, rappelle du moins la démesure des légendes ancestrales et tout le potentiel mythologique d’un cinéma aux images naviguant à la lisière du réel et de la représentation.