Cinéma | Nouvelles du front

Les Sorcières de Zugarramurdi (Las Brujas de Zugarramurdi)
un film d’Alex de la Iglesia (2013)

Les Sorcières de Zugarramurdi (Alex de la Iglesia, 2013)Depuis vingt ans, Alex de la Iglesia dynamite le cinéma de genre et régale ses spectateurs sans épargner – de la comédie au mélo, en passant par le thriller et le western – la moindre parcelle de leur héritage cinématographique. Avec son film précédent, Un jour de chance (2011), le réalisateur espagnol livrait une œuvre à l’humour noir toujours aussi présent et acerbe mais pourtant moins déjantée que ce à quoi il nous avait habitué depuis ses débuts. Après cette histoire qui dissimulait une profonde révolte sous ses faux airs d’apaisement, le voici qui renoue aujourd’hui avec le cinéma fantastique délaissé depuis Le Jour de la bête (1995). Mais pas uniquement : la jouissive loufoquerie caractéristique des meilleurs délires du cinéaste que sont Mort de rire (1999), 800 balles (2002) et Le Crime farpait (2004) est elle aussi de retour en force et au tout premier plan de ces Sorcières de Zugarramurdi.

Les Sorcières de Zugarramurdi (Alex de la Iglesia, 2013)S’ouvrant sous les tragiques auspices de prophéties macbéthiennes, Les Sorcières de Zugarramurdi mène un train sinueux et infernal pour immerger ses protagonistes dans un univers rongé par une folie toujours plus imprévisible. Dès sa deuxième séquence, cet absurde braquage d’une bijouterie perpétrée par des malfrats déguisés en mimes de rue, le film voit Bob l’éponge jouer de sa mitraillette pour abattre d’innocents piétons égarés. A partir de là, plus jamais le film ne manifestera ne serait-ce que les résidus d’une quelconque santé mentale. Grimé en un Jésus doré, nous apprendrons rapidement que Jose, meneur de la joyeuses troupe, est en proie à des difficultés à la fois financières et familiales. Outre un fusil à pompe, la croix massive qu’il se trimbale cache une douloureuse histoire de divorce et toute la détresse de se voir arracher à la vie de son fils. S’il commet un crime, c’est avant tout pour recommencer ailleurs sa vie avec le jeune Sergio. A Paris, par exemple. C’était sans compter sur la ténacité de son ex-femme, prête à le traquer jusqu’au bout de la route, et surtout cette mauvaise surprise qui l’attend lui et ses complices à Zugarramurdi : sinistre petit village du côté de la frontière franco-espagnole.

Les Sorcières de Zugarramurdi (Alex de la Iglesia, 2013)De la scène du braquage au brillant troisième acte où de la Iglesia introduit enfin l’élément fantastique au film, Les Sorcières de Zugarramurdi est essentiellement un road movie décliné sur le ton du burlesque le plus désopilant. Poursuivis par Silvia, qui se traîne elle-même aux basques un duo de policiers incompétents, Jose, ses complices et leurs otages apprendront lors de leur périple à mieux se connaître. Partageant leurs soucis, ils se fédéreront autour des deux sources majeures de leurs angoisses existentielles : la pression que leur impose une société n’acceptant plus qu’un unique modèle de réussite d’une part, et les femmes par ailleurs. Si la crise économique n’apparaîtra bientôt plus qu’en filigrane du récit, la guerre des sexes va quant-à-elle éclater au grand jour. Prisonniers d’une décadente famille qui fait régner depuis des siècles la terreur sur les environs de Zugarramurdi, Silvia, Sergio et Jose se retrouveront au centre d’une révolte d’ordre matriarcale menée par ces ancestrales sorcières et leur charmante descendance.

Les Sorcières de Zugarramurdi (Alex de la Iglesia, 2013)Cette idée d’un sexisme lourdingue que j’évoquais plus haut vous révulsera peut-être. Soyez rassurés, bien plus qu’un simple pamphlet contre le féminisme, Alex de la Iglesia adresse avec Les Sorcières de Zugarramurdi une irrévérencieuse ode à la femme. Son film témoigne d’un profond respect mais aussi de sa totale incompréhension pour ces étranges créatures qui obsèdent et ensorcellent ses personnages. Chaque cliché s’accompagne d’un regard tendre et admiratif, la moindre impertinente boutade reconnaît à ce sexe que l’on dit faible toute son inébranlable force. Alors, Les Sorcières de Zugarramurdi est-il une déchirante déclaration d’amour ou un règlement de comptes éhonté ? La réponse se situe sans doute dans l’entre-deux : cette ironie subversive dont de la Iglesia irrigue le fantastique espagnol pour le revigorer et qui fait tout le sel de son monde irréel mais pourtant doté d’un insaisissable pouvoir de fascination.

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