Cinéma | Nouvelles du front
The Sword (Ming jian)
un film de Patrick Tam (1980)
Légèrement oublié, alors que d’autres réalisateurs qui incarnaient avec lui la nouvelle-vague hongkongaise des années 1980 jouissent désormais d’une reconnaissance critique mondiale, Patrick Tam signait dès son premier film pour le cinéma une œuvre d’une admirable audace visuelle. Armé d’un budget dérisoire qui l’obligea à tourner en décors naturels plutôt qu’en studio et à réduire le nombre de personnages et de péripéties au strict minimum, il réalise avec The Sword un wu xia pian1 épuré, centré davantage sur le développement des personnages et de leurs dilemmes internes que sur des scènes d’action effrénées. Film crépusculaire, The Sword est au genre ce que Le Samouraï, Pat Garrett & Billy the Kid et Goyokin : L’Or du Shogun sont respectivement au polar, au western et au chanbara2 : autant le chant du cygne d’un certain classicisme qu’une farouche remise en cause de la forme comme du fond.
Lorsqu’une épée maléfique lui tombe entre les mains, le légendaire Hua se retire dans une demeure isolée pour fuir les guerriers aussi nombreux qu’ambitieux qui veulent l’affronter en duel. Li, un jeune chevalier errant, souhaite défier le vieux maître d’armes pour mettre ses propres talents à l’épreuve et se prouver qu’il est le meilleur épéiste de la région. Au cours de ses pérégrinations, il se liera d’amitié avec une aventurière fougueuse poursuivie par d’énigmatiques mercenaires avant de retrouver son amour de jeunesse désormais mariée à Lin Wan, un homme violent et tyrannique. Il s’avérera rapidement que ce collectionneur d’armes sans scrupules tire les fils d’un perfide complot visant à éliminer le vieillard. Par un tragique concours de circonstances, Li entrera en possession de la lame maudite. Dès lors, le désir de laver son honneur souillé par la mort d’innocents propulsera le valeureux chevalier vers un dénouement des plus sanguinaires.
De ces grandes lignes classiques et balisées, inspirées d’un conte souvent adapté à l’écrit comme à l’écran, Patrick Tam tire l’ossature d’un renouvellement quasi-existentiel des codes du wu xia pian. Grand esthète (il montera plus tard Nos années sauvages et Les Cendres du temps pour Wong Kar Wai), le réalisateur applique une stylisation outrancière à sa mise en scène, notamment dans son utilisation des couleurs, pour ériger ses personnages en types avant d’exacerber leurs tiraillements entre un libre-arbitre rêvé et le poids d’une inéluctable destinée. Prenant la forme des temps morts dont regorgent les somptueux combats, puis du rouge sang qui envahit lentement l’écran dans un affrontement final tendant vers l’abstraction, cette opposition entre croyances anciennes et modernité et l’incapacité des protagonistes de The Sword à assumer les traditionnelles valeurs de la chevalerie aboutissent à la déconstruction méthodique d’un genre fondé sur la glorification de la violence.
1 wu xia pian, ou wuxia : film de sabre chinois
2 chanbara, ou chambara : film de sabre japonais