Halloween III : Le Sang du sorcier
un film de Tommy Lee Wallace (1982)
Publié par Marc Fairbrother le 9 août 2015 dans La Crypte
Oubliez la banlieue familière de Haddonfield où l’ombre de Michael Myers rodait au détour d’une paisible rue pavillonnaire, guettant en silence l’arrivée de ses prochaines victimes. Avec Halloween III : Le Sang du sorcier, John Carpenter amorçait une tournure radicale dans cette franchise qui, dès son premier opus, l’avait propulsé au rang de maître de l’horreur. Un pari fou que de rompre aussi brutalement avec l’héritage des volets précédents de la série ; une prise de distance qui ferait surtout du film un « Halloween, le mal aimé » dont l’échec commercial anéantirait toute envie de réitérer l’exercice. Pourtant, bien que Carpenter en délègue l’écriture et la mise en scène à Tommy Lee Wallace, son collaborateur de toujours, le film s’inscrit très clairement dans l’œuvre du réalisateur de Fog, The Thing et Prince des ténèbres. Une proximité qui ne tient pas seulement à la musique que signe John Carpenter lui-même ; composition rarement évoquée mais à l’atmosphère toute aussi anxiogène que ses thèmes davantage célébrés. Non, car de l’utilisation du cadre cinémascope jusqu’aux plus noires idées développées par un récit déjanté comme on les aime, l’on y reconnaît autant de bribes de films antérieurs du cinéaste que l’on y glane de présages des chefs d’œuvre à venir.
Dès ses premiers instants, ce Halloween III donne dans l’ambiance menaçante, âpre et désespérée. En pleine nuit, aux abords d’un bled paumé de la Californie du Nord, un homme hagard prend la fuite au travers d’un terrain vague en cruel manque de cachettes. Un masque de citrouille à la main, il parviendra à se défaire de l’un de ses étranges poursuivants avant de trouver refuge dans une station service du coin, s’écroulant d’épuisement devant un employé de nuit qu’il laisse pour le moins perplexe. Déposé à l’hôpital le plus proche, Harry Grimbridge sera placé sous la garde de Dan Challis. Divorcé, alcoolique, le médecin ne prêtera que peu d’attention aux délires paranoïaques de cet homme débarqué d’on ne sait où pour l’arracher à une rare chance de passer du temps avec ses enfants. Jusqu’à quelques heures plus tard, du moins… Car lorsqu’un autre inconnu s’infiltre dans l’hôpital pour broyer, de ses mains nues, le crâne de son patient sans défense, le pauvre Challis ne pourra oublier les funestes et ultimes paroles que lui avait confiées ce-dernier qu’en les noyant sous un purifiant flot de whisky.
Alors qu’il se saoule, selon ses bonnes habitudes, au premier bar trouvé en chemin, deux choses viennent distraire Challis de cette délicate opération d’assainissement spirituel à laquelle il se dévoue corps et âme. L’insupportable spot publicitaire d’une part, qui interrompt depuis plusieurs jours la programmation radio et télé pour promouvoir sans répit les masques d’Halloween de la marque Silver Shamrock (ou Trèfle d’argent en vf, si vous y tenez). Et Ellie Grimbridge par ailleurs, fille endeuillée mais dévergondée du défunt, qui vient questionner monsieur le docteur sur l’incompréhensible meurtre de son père. Ensemble, ils vont mener l’enquête du côté de Santa Mira, le dernier endroit où Harry donna signe de vie avant de voir une horde de meurtriers, tous vêtus d’élégants complets et aux allures d’inquiétants mannequins, lancée à ses trousses. Dans cette ville entreprise, entièrement dévouée à Silver Shamrock et son sinistre dirigeant, Conal Cochran, Ellie et Dan trouveront cependant plus de questions que de réponses. Au point même d’en interrompre leurs ébats déplacés. Ville sous perpétuelle surveillance, peuplée de fantasques Irlandais et de salariés qui déroulent machinalement leur routine, il s’avère que Santa Mira se prépare à quelque chose de bien plus terrifiant que la simple production de costumes pour des festivités dont on se souvient ici des antiques et sanguinaires origines.
Nous voilà donc, comme promis, aux antipodes des premiers Halloween qui voyaient se perpétrer, à l’Automne 1978, un carnage des plus violents au fin fond d’une Amérique naïve, s’imaginant encore sans histoires. Et pour cause, bien que son nom ne figure nulle-part au générique, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’il faut chercher l’auteur du scénario original. Vétéran de la science-fiction et de l’épouvante dont il se fit une spécialité à la télévision anglaise, notamment avec les aventures qu’il consacre au personnage de Bernard Quatermass, Nigel Kneale fut l’une des principales sources d’inspiration de l’œuvre de John Carpenter qui prendrait The Stone Tape comme modèle pour Prince des ténèbres, l’une de ses réalisations les plus personnelles. Si l’écrivain britannique désavoua le film en pleine production, Halloween III n’en conserve pas moins son empreinte ; son pessimisme et sa fascination pour un passé recelant d’effrayantes traditions se manifestant au travers des desseins infâmes de Cochran et ses disciples. Aux thèmes fétiches de Kneale, Carpenter insuffle sa propre vision désabusée d’un monde sombrant aveuglément dans le consumérisme ; une société où les individus se confondent avec des automates désincarnés, s’abandonnant à la torpeur de rituels vidés de tout autre sens que la sacro-sainte course aux profits.
L’on se croirait presque chez Carpenter, la dictature subliminale des yuppies envahisseurs d’Invasion Los Angeles s’insinuant déjà dans les habitudes du quotidien irréfléchi de millions de foyers de l’Amérique moyenne. Il n’y aura cependant aucun Working Class Hero, nul Snake Plisken ni John Nada pour prendre en main le destin de la race humaine ; seule la recrudescence de superstitions archaïques et meurtrières pour l’avertir des dangers qui la guettent sur ces sentiers d’une irréversible déshumanisation. Ayant officié à de nombreux postes – monteur, assistant réalisateur, chef décorateur et j’en passe – sur Dark Star, Assaut, Halloween ou encore Fog, Tommy Lee Wallace s’inspire de toute évidence de la mise en scène du maître pour cette première réalisation (on lui doit, plus tard, l’adaptation télé du Ça de Stephen King). Sa maîtrise technique et l’assurance dont il fait preuve ne pallient certes pas à la touche de génie qui lui fait défaut. Elles confèrent néanmoins aux pulsions destructrices de Cochran, comme au sentiment d’impuissance de Challis, suffisamment d’angoissante profondeur pour hanter Halloween III : Le Sang du sorcier d’un pessimisme captivant qui inspire à ce portrait alarmiste du monde une vitalité attachante, aux pauvres âmes qui cherchent futilement à résister une part inespérée d’humanité.