House
un film de Nobuhiko Obayashi (1977)

House

Même pour un film d’exploitation japonais, House est ce que l’on qualifiera avec la plus fervente admiration d’œuvre très sévèrement barrée. Histoire de maison hantée oscillant avec une affolante liberté entre le gothique européen, les récits de fantômes traditionnels et le teen-movie dans l’air du temps, le premier long-métrage de Nobuhiko Obayashi a tout de l’anomalie cinématographique mais allait participer à redéfinir les contours d’une industrie moribonde. House a en effet été produit dans l’unique but de réinjecter une part de fantaisie au cinéma de l’archipel et faire ainsi revenir la jeunesse vers les salles obscures. Si Obayashi a pleinement rempli sa mission, les adolescents tokyoïtes s’alignant dans des files d’attente monstrueuses pour découvrir sa démente fantasmagorie, le succès du film, en ouvrant les portes des studios à des réalisateurs marginaux comme Jun Ichikawa ou Shuji Terayama, aurait des effets bien plus profonds et durables sur le cinéma nippon.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Issu du cinéma expérimental, son court-métrage Émotion (1966) ayant notamment alerté la critique une dizaine d’années plus tôt, Obayashi se voyait mal intégrer la hiérarchie traditionnelle des studios et devoir patienter le temps de faire ses preuves en tant qu’assistant. Il avait donc accepté un emploi chez l’agence Dentsu, voyant en la publicité le moyen le plus rapide de mettre en scène ses idées visuelles mais aussi des célébrités du calibre de Sophia Loren, Catherine Deneuve, Kirk Douglas, Ringo Starr ou encore Charles Bronson. En 1975, alors que le cinéma japonais agonisait face à la télévision et se cherchait désespérément du sang neuf, le réalisateur fut approché par un producteur de la Toho désirant mettre en chantier un film dans la veine des Dents de la mer (Stephen Spielberg, 1975). Quelques temps plus tard, Obayashi remettrait à son commanditaire le traitement de House ; un film d’horreur inspiré des phobies que lui a confiées Chigumi, sa propre fille alors âgée de seulement 11 ans.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Ne voyant aucun intérêt à régurgiter la formule simple mais efficace du film de Spielberg, par ailleurs rapidement déclinée sous de multiples formes à travers le monde, Obayashi se concentre sur l’idée fascinante émise par Chigumi que son reflet pourrait surgir du miroir pour la dévorer. De ce concept aux éminentes possibilités visuelles, le réalisateur imagine l’histoire d’une jeune fille désemparée face au remariage de son père et qui choisit, au lieu de passer ses vacances avec lui comme chaque été, d’inviter ses amies chez une tante oubliée habitant la lointaine campagne. Arrivées dans la demeure isolée et décatie, les copines d’Angel se feront engloutir l’une après l’autre par divers éléments du manoir, du puits à l’horloge en passant par les futons et le piano. L’étrange lien entre la vieille dame, sœur de la défunte mère d’Angel, et son inquiétante maison se précisera au long du récit pour invoquer avec nostalgie le spectre malheureux d’un triste passé.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)En 1967, la Nikkatsu renvoyait Seijun Suzuki pour avoir réalisé un film jugé incompréhensible par les pontes du studio : c’était La Marque du tueur. En 1975, alors que personne chez la Toho ne comprend goute au scénario remis par Nobuhiko Obayashi, tous s’enthousiasment cependant pour les idées innovantes de ce trublion venu du monde séduisant de la publicité. Cette emblématique différence entre les traitements réservés à un réalisateur confirmé et un néophyte témoigne des difficultés survenues au cours des années 1970 pour le cinéma japonais. Malgré l’accord des producteurs et la confiance qu’ils vouent au projet, la route qui mènerait jusqu’à House serait néanmoins encore longue et sinueuse.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Obayashi explique volontiers que son travail sur House ne se résumait pas qu’à la simple réalisation mais que 80% de son temps était dévoué à la production. Ce qu’il veut dire par là est que, pour que le film suscite malgré l’absence de stars et de repères un engouement chez le public visé, il fallait d’abord trouver une façon originale de le promouvoir en amont. Ainsi, avant même d’obtenir le feu-vert de la Toho, le réalisateur travaille avec ses connaissances au développement de House sur de nombreux supports allant du roman ou du manga au programme radio et même une bande originale composée par le groupe de pop-rock Godiego. C’est grâce au succès de ces différents produits dérivés, dont la production s’étalera sur près de deux ans, et aux attentes qu’ils éveilleront chez les éventuels spectateurs qu’a pu enfin démarrer le tournage. Dès lors, House était ancré dans l’imaginaire collectif du pays avant que n’en soit filmée la moindre image.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Ceux qui découvriront le film seront sans doute déconcertés par le populisme désinvolte, l’humour potache et le romantisme édulcoré des premières séquences. Si tout cela vous parait d’une insoutenable puérilité, rassurez-vous : bien que noyée sous les lourdes et flamboyantes couches de couleurs saturées, l’ironie est bel et bien présente dès ces premiers instants à l’esthétique délicieusement bubble-gum. D’un père compositeur pour des films italiens aux immenses panneaux champêtres représentant la campagne, l’idyllique façade va s’estomper dès qu’Angel et ses six amies, toutes porteuses de sobriquets à l’image des sept nains de Blanche-Neige, posent pied dans le passé familial et, par conséquent, dans celui de la nation toute entière. Enfermées dans le manoir qui leur bloque toute vue des paisibles environs, traquées par un maléfique chat doté de pouvoirs surnaturels que des techniciens semblent balancer dans le champ à chaque nouveau plan, elles vivront au gré de leur traumatisant démembrement un rite de passage à l’âge adulte et une perte de l’innocence dans la pure veine d’un Carrie (Brian De Palma, 1976) ou d’un Suspiria (Dario Argento, 1977).

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Sur le papier, House ne propose donc rien de bien révolutionnaire hormis l’importation d’un énième modèle de récit occidental dans un contexte japonais. Au niveau visuel par contre, Obayashi nous régale d’un ahurissant bombardement d’images où s’entrechoquent l’esthétique gothique de Mario Bava (le réalisateur voulait signer le film du pseudo Baba Mario), le surréalisme de Luis Buñuel et un psychédélisme de fou-furieux conjuré d’on ne sait où si ce n’est de l’abus de produits illicites. Pour arriver à ce cocktail hors du commun, Obayashi puise dans son bagage de cinéaste expérimental et emploie tous les effets d’optique et de montage ; toutes les techniques d’animation et de vidéo dont il dispose.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Le résultat est certes foutraque, voire incompréhensible : par son audacieux mélange d’horreur gore et de comédie cartoonesque, Obayashi engendre cependant un grandiose bordel transgénérique qui n’est pas sans présager Evil Dead (Sam Raimi, 1981). Superposant de rudimentaires techniques d’animation à des scènes filmées en stop-motion, jouant sur la vitesse de filmage comme de projection, travaillant parfois les images à même le corps de sa pellicule, le réalisateur atteint un niveau d’enfièvrement visuel inédit, ses idées s’enchaînant et se percutant dans toute leur richesse timbrée sur un rythme frénétique. Ainsi, sur fond de rupture générationnelle, de tiraillements entre tradition ancestrale et modernité éphémère, le cinéma et la fantaisie deviennent pour Obayshi le révélateur de traumatismes refoulés et les motifs de House, malgré la folie inhérente du film, donnent lentement corps à du sens et à une vive émotion.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)Vous voilà donc avertis : avant de zyeuter ce premier long-métrage de Nobuhiko Obayashi, il est on-ne-peut-plus conseillé de laisser au vestiaire toute préconception de ce à quoi devrait ressembler un film. House est unique, dynamitant avec une joie à peine dissimulée le conformisme cynique de la production mais aussi les attentes aseptisées du public. Chaque plan est un pas vers l’inattendu et la simple concrétisation d’une telle vision cinématographique, à la fois généreuse et décomplexée, libre mais d’une profonde cohérence, démontre à quel point le cinéma reste une terre inexplorée : un art dont nous n’avons fait que caresser l’immense potentiel. Chaque porte et fenêtre qui donne, dans House, sur de nouvelles visions cauchemardesques est une ouverture salvatrice sur d’innombrables aventures possibles.

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